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Compte-rendu de notre rencontre avec le Président de la République Joseph Kabila

Le jeudi 18 août 2016, au cabinet du gouverneur de province du Nord-Kivu à Goma, le Président de la République Joseph Kabila recevait une importante délégation du Mouvement Citoyen de La Lucha (Lutte pour le Changement). Parmi la cinquantaine des personnes en audience chez le Chef de l’État figuraient les six militants sortis récemment de la prison ou ils auront passés 5 mois d’incarcération avant de bénéficier d’une grâce présidentielle le mois dernier. Ayant refusé cette grâce pour exiger la libération de leurs autres camarades, ils avaient été expulsés de force de la prison de Goma par les autorités pénitentiaires sous le motif que la grâce présidentielle ne se refuse pas.

A l’issu de leur rendez-vous du 18 aout, La Lucha a publié sur sa page Facebook le Compte rendu dont AFRIWAVE.COM fait le relai dans cette édition.

La Rédaction

Compte-rendu de notre rencontre avec le Président de la République Joseph Kabila

1- Une importante délégation de notre mouvement citoyen, la Lucha (Lutte pour le Changement) a été reçue en audience par le Président de la République, Joseph Kabila, l’après-midi de ce jeudi 18 août 2016, au cabinet du gouverneur de province du Nord-Kivu à Goma. La rencontre, qui a duré près de trois heures, a eu lieu à la demande de la présidence de la République. Elle s’est tenue à huis-clos en présence du président de la République, assisté seulement de deux membres de son service de protocole. Pour sa part, la délégation de la Lucha était composée d’une cinquantaine de militants, dont deux ont parlé au nom du groupe et un troisième a assuré la modération.

2 – Sur proposition de la Lucha, les échanges ont tourné autour de trois sujets à savoir : la situation sécuritaire à l’Est de la RDC et dans la région de Beni en particulier ; le processus politique et électoral ; et enfin la situation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Mais avant d’aborder ces sujets, nous avons tenu à expliquer au président de la République ce que c’est la Lucha, le but, les valeurs et les principes fondamentaux de notre lutte pacifique, d’autant plus qu’est la première rencontre avec lui depuis la naissance de la Lucha en mars 2012.

  1. Sur ce que nous sommes

3 – Nous avons expliqué au président de la République que la Lucha (ou Lutte pour le Changement) est un mouvement citoyen non-partisan et non-violent, qui a pour but d’engager les Congolais à s’assumer en tant que citoyens et en tant que Nation en faisant chacun correctement son devoir, en exigeant sans concession le respect de leurs droits, et en défendant leur liberté et leur dignité quoiqu’il en coûte. Nous lui avons expliqué que c’est dans cette optique qu’il faut comprendre notre lutte aujourd’hui pour la démocratie; pour la sécurité, la justice, la gouvernance participative, les services sociaux de base, etc.

Nous avons fustigé le fait qu’au lieu d’encourager l’engagement civique et non-violent des jeunes comme les militants de la Lucha, son gouvernement préférait nous traiter comme des criminels en nous empêchant systématiquement de nous exprimer, en instrumentalisant les services de sécurité et la justice pour nous réprimer, voir en nous traitant de terroristes et de subversifs. Nous lui avons rappelé que cette attitude contrastait avec le rêve démocratique de la jeunesse congolaise et l’espoir qu’avait suscité son élection en 2006, alors qu’il n’était âgé que de 34 ans.

4 – Réagissant à ces propos, le président Joseph Kabila a déclaré : «Moi je ne vous ai jamais considéré comme des terroristes. Si c’était le cas, je ne serai pas assis avec vous maintenant. Vous représentez une jeunesse Congolaise qui a des revendications légitimes et un rôle important à jouer pour l’essor de la Nation». Il s’est dit surpris d’apprendre que certaines autorités ne prennent même pas le temps de nous écouter, et a promis d’instruire notamment le gouverneur du Nord-Kivu Julien Paluku de prendre le temps de nous recevoir et de nous écouter toutes les fois que nous le demanderons.

  1. Sur la situation sécuritaire à l’Est de la RDC et à Beni en particulier.

5 – Nous avons fustigé la répétition de massacres de nos compatriotes dans la région de Beni, avec le même mode opératoire depuis près de deux ans, l’impuissance totale de l’Etat, voire la complicité des pouvoirs publics au regard de leur mépris envers les victimes, la répression contre ceux qui exigent la vérité et la justice, et leur refus d’enquêter sérieusement sur les allégations récurrentes de collusion entre certains officiers avec les tueurs. Au même moment, des violences sont signalées un peu partout dans l’Est de notre pays, et récemment au Kasaï, avec souvent l’implication de politiciens véreux qui instrumentalisent les identités ethniques en opposant les citoyens les uns aux autres. L’Etat gère ces violences avec une complaisance coupable. Dans le cas du Nord-Kivu (Lubero, Rutshuru, Walikale, Masisi), l’armée prend souvent parti pour un camp, et certains officiers se permettent de soutenir des groupes armés, en toute impunité de la part de leur hiérarchie.

6 – Nous avons rappelé au président qu’en tant que Commandant Suprême des Forces Armées de la RDC, c’est de sa responsabilité première de veiller à la sécurité des Congolais, à la paix publique, à l’intégrité du territoire, etc. Enfin, nous avons fait plusieurs recommandations, notamment :

  1. La réforme de la chaîne de commandement des forces de sécurité et la mise à la disposition de la Justice de tous les officiers soupçonnés de collusion avec les forces négatives, y compris le Général Mundos.
  2. La révision totale des opérations en cours à l’Est (Sukola1 et 2) contre les ADF et les FDLR avec le remplacement des unités, le changement des stratégies utilisées, le renforcement des renseignements militaires, …
  1. La demande officielle du gouvernement Congolais à l’ONU de mettre en place une mission d’enquête internationale indépendante sur les massacres de Beni, y compris leurs auteurs, commanditaires, soutiens, motivations, etc., ce qui permettra peut-être également de confirmer la thèse d’une mutation des ADF NALU en groupe djihadiste, car les affirmations du gouvernement ressemblent jusqu’ici à un prétexte pour ne pas reconnaître ses responsabilités. 4. Le renforcement des forces de sécurité (armée et police) déployées dans l’Est, et au Nord-Kivu en particulier, en termes d’effectifs, de moyens de mobilité et de communication, d’habitat (casernes, bases), de rationnement, l’augmentation et la paie régulière de leurs soldes,… ainsi que leur répartition rationnelle sur le territoire.

7 – A ce sujet, le président de la République a justifié l’impuissance de son gouvernement face notamment aux massacres de Beni et à la question des FDLR, arguant qu’il n’était pas responsable de la présence sur le sol Congolais de ces rebelles. Il est revenu sur le caractère «asymétrique et complexe» de la guerre que mènent les ADF et les FDLR, sur leur parfaite connaissance du terrain «parfois mieux que les FARDC », et a indiqué que son gouvernement «met tout en œuvre» pour restaurer la sécurité.

III. Sur le processus politique et électoral.

8 – Nous avons martelé que pour la Lucha comme pour la grande majorité de Congolais, la démocratisation de notre pays est irréversible. Nous lui avons rappelé que cette année 2006 l’alternance au sommet de l’État doit avoir lieu, et que tout ce qu’il peut influencer c’est la manière dont les choses vont se dérouler : soit il accepte d’organiser les élections, qui, constitutionnellement doivent être convoquées dans exactement un mois (le 19 septembre 2016), soit le Peuple n’a pas d’autre choix que s’assumer, avec tous les risques que ce dernier schéma comporte.

Nous lui avons rappelé que les retards dans le processus électoral qu’on brandit pour justifier la non-tenue des élections dans les délais ne sont pas un accident, mais le résultat d’une stratégie de pourrissement intentionnellement créée et entretenue par sa mouvance en espérant que cela lui permettrait de rester au pouvoir le plus longtemps possible. Nous avons aussi mentionné que plusieurs propositions étaient déjà faites sur la possibilité d’organiser les élections dans les délais avec le temps qui reste. Nous avons insisté sur le fait que pour nous la lutte pour l’alternance n’est pas une lutte contre sa personne ou pour soutenir un quelconque camp politique, mais un combat légitime POUR la consolidation de notre démocratie et le respect de notre constitution. Nous l’avons exhorté à rentrer positivement dans l’histoire, pour lui-même, pour sa propre postérité, et dans l’intérêt général de la Nation, en opérant un transfert pacifique et civilisé du pouvoir à la fin de son dernier mandat le 19 décembre 2016.

9 – A ce propos, le président de la République a soutenu qu’il ne veut pas d’élections précipitées qui déboucheront sur la contestation et sur des violences comme en 2006 et en 2011. Il a parlé de la contestation des calendriers publiés par le passé par la CENI et de la «nécessité d’un consensus politique » avant la publication d’un nouveau calendrier, d’où le « dialogue politique » qu’il a convoqué depuis une année. Il a par ailleurs estimé que « la démocratie dans sa forme actuelle coûte plus cher à notre pays que le développement», et qu’il était important de «minimiser le coût financier de la démocratie», sans expliciter comment, ajoutant que son gouvernement avait déjà levé l’option de financer lui-même les élections car c’est une question de souveraineté nationale, et qu’ «on ne peut pas organiser des élections pour plaire à la communauté internationale». Il a expliqué qu’on ne sait pas faire des élections sans un fichier électoral, ou avec celui de 2011 qui n’est ni crédible ni inclusif, mentionnant la question des «nouveaux majeurs». Il a insisté sur «l’importance de commencer le cycle électoral par les élections locales, car le développement vient de la base».

  1. Sur la situation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

10 – Nous avons évoqué le rétrécissement de l’espace politique dans le pays, caractérisé par la répression quasi-systématique des manifestations en dehors de celles de la « majorité présidentielle », le musèlement de toutes les voix critiques y compris les restrictions de l’accès à Internet et la fermeture de certains médias, la transformation des médias publics en un outil de propagande partisane en faveur du pouvoir, etc. Nous avons fustigé l’instrumentalisation de la justice et des forces de sécurité, surtout l’Agence Nationale des Renseignements, à des fins politiques. Nous avons demandé la libération de nos camarades emprisonnés à Kinshasa, en insistant sur le cas particulier de Fred Bauma et Yves Makwambala qui en sont à leur 19ème mois de «détention préventive», sans aucune lueur d’un procès équitable, ainsi que Bienvenu Matumo, Héritier Kapitene, Godefroid Mwanabwato, et Victor Tesongo. Nous lui avons promis de lui transmettre un dossier détaillé de leur situation. Nous avons demandé la libération de tous les prisonniers d’opinion et prisonniers politiques pour redresser les injustices subies et décrisper le climat politique.

11- Le président de la République, qui prenait attentivement des notes, nous a dit : «je vous donne ma parole d’officier», en nous assurant qu’il ferait suite à ces requêtes «sous 48 heures», c’est-à-dire d’ici samedi 20 août 2016. Il nous a informés qu’il comptait instruire le Procureur Général de la République et l’ANR pour éviter à l’avenir des «arrestations injustifiées» de militants, et pour procéder à la libération de ceux qui sont actuellement détenus.

  1. Présentation du prix «Ambassadeurs de la Conscience»

12 – A la fin de la rencontre, nous avons saisi l’occasion pour présenter au Président de la République le prestigieux prix «Ambassadeurs de la Conscience» décerné en mai dernier par Amnesty International à la LUCHA, conjointement avec nos camarades d’Y En A Marre (Sénégal) et du Balai Citoyen (Burkina Faso), ainsi qu’avec la chanteuse béninoise Angélique Kidjo. Nous lui avons exprimé notre frustration de voir notre combat reconnu et saluer au niveau international, pendant que nos propres autorités nous répriment et nous pourchassent. Le président de la République nous a félicités pour ce prix.

13 – La rencontre s’est clôturée dans une ambiance conviviale par la prise d’une photo-souvenir du président de la République entouré des 47 militants de la Lucha. Nous l’avons remercié pour son aimable invitation, qui est non seulement un geste d’ouverture d’esprit, mais surtout une marque de reconnaissance et d’estime pour notre combat citoyen. Nous avons émis le vœu de le revoir bientôt comme premier ex-Président de la République Démocratique du Congo en vie, et lui avons souhaité bonne chance dans sa future carrière de Sénateur.

Commentaire de notre part:

14 – Cette rencontre, première du genre avec le Président de la République, a été diversement commentée dans l’opinion publique. Nous voulons rappeler à tous que la LUCHA est fidèle à sa nature citoyenne, républicaine, non-partisane et non-violente. A ce titre nous sommes ouverts à parler avec tout le monde et à aller partout où nous pouvons faire entendre notre voix, défendre notre idée de la démocratie et du changement. Nous nous réjouissons donc d’avoir pu parler directement au président de la République pour exprimer en toute liberté et en toute indépendance d’esprit nos frustrations, faire prévaloir nos revendications, et proposer des solutions de manière constructive.

15 – Nous n’avons pas été convaincus ou satisfaits par plusieurs des arguments du président de la République, spécifiquement sur les questions sécuritaire et sur le processus électoral, et nous ne comptons pas lâcher la pression à cet égard. Nous avons d’ailleurs convenu de transmettre par écrit le condensé de nos discussions à la Présidence de la République pour considération, ce qui sera fait le plus rapidement possible.

16 – Nous attendons impatiemment que le Président de la République honore sa “parole d’officier” notamment en ordonnant la libération de nos six camarades encore emprisonnés à Kinshasa, ainsi que tous les autres prisonniers d’opinion, et en libérant l’espace politique pour que les Congolais puissent s’exprimer et manifester pacifiquement leurs opinions, quelles qu’elles soient. Quant aux autres propositions (sur la sécurité et sur le processus démocratique), nous espérons qu’il nous a écoutés et qu’il suivra avec sagesse nos recommandations.

N.B. Nous n’avons touché aucun sou, ni pris aucun cadeau, aucun repas, aucune « enveloppe de transport » ni rien du genre. C’est contraire à nos principes, et les politiciens le savent pertinemment bien !

La lutte continue !

Fait à Goma, le 19 août 2016.

Pour la Lucha,

La Cellule de Communication et Information.

Pour tout contact :

Lutte pour le Changement

Mouvement citoyen non-partisan & non-violent des jeunes de la République Démocratique du Congo

Tel.: +243 99 4645 977

Email: lucha.rdc@gmail.com / info@luchacongo.org

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