Kabila, Katumbi et la stratégie des vaincus [Lu pour vous]

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Sous les oripeaux du patriotisme et les appels factices à l’unité nationale, une stratégie trouble se dessine. Kabila, Katumbi et leurs émissaires ressurgissent des marges du pouvoir, portés non par une vision, mais par une ambition blessée. Dans cet éditorial incisif, Litsani Choukran démonte les mécaniques d’une alliance contre-nature, où l’orgueil des vaincus tente de se réinventer en sauveurs de circonstance. Une plongée acérée dans les coulisses d’un retour programmé ou d’une sortie pathétique.

Il y a dans certaines manœuvres politiques une mélancolie tragique, un air de valse triste sous un lustre poussiéreux. Nous voilà donc, une fois de plus, spectateurs d’un ballet grotesque, exécuté par ces vieux illusionnistes de la République qui, croyant dominer l’ombre, s’y sont noyés. Les revoici qui frappent à la porte d’un théâtre dont ils ont pourtant incendié la scène.

Le pacte secret avec l’agresseur. À l’origine, ce n’était qu’un murmure — une rumeur perfide glissant d’un palais au bord du fleuve à un bunker embusqué quelque part dans les collines de Mulenge. Le plan, enfanté dans les vapeurs moites d’un ressentiment mal digéré, relevait d’une logique d’initié : offrir l’Est du pays à la prédation rwandaise et à son bras armé, le M23, en échange d’un trône de porcelaine politique.

Ah ! Quelle fresque lugubre ! Voilà donc les princes déchus de Kinshasa se rêvant stratèges d’un chaos orchestré, où la peur servirait de levier, le sang de carburant, et l’humiliation nationale de monnaie d’échange. À mesure que les villes tombaient –Goma, Bukavu, Walikale– leurs fantasmes gonflaient, ivres de l’idée que l’agonie d’un peuple pouvait devenir tremplin.

C’est Joseph Kabila, figure à la voix rare mais au silence bavard, qui songea à un retour par l’Est, une « reprise de contact » disait-on. Traduisez : récupérer les cendres pour y planter une tente et revendiquer l’incendie comme œuvre fondatrice.

L’aveuglement stratégique. Mais dans cette symphonie de duplicité, les maestros autoproclamés oublièrent une partition essentielle : celle du réel. Le monde, cette bête capricieuse, n’a pas suivi leur script. Tandis qu’ils misaient sur le fracas des bottes et la poussière des routes pillées, Washington entamait ses conciliabules. Doha s’invitait à la table. Et Kinshasa, contre toute attente, résistait, négociait, reconfigurait le jeu.

Les accords, chuchotés sous des lustres qataris ou dans les couloirs feutrés de l’administration américaine, sont peut-être encore embryonnaires. Mais pour les artisans de l’abîme, ils sonnent déjà comme un glas : ils ne seront ni invités, ni mentionnés, ni même tolérés.

Les mercenaires de la parole. Alors, que faire quand la salle de bal vous est interdite ? On cogne à la porte de la cave. D’où surgit la vieille rengaine : dialogue nationalunion sacréeréconciliation. Des mots usés, maquillés pour la parade, mais vides comme une enveloppe sans lettre. On ne veut ni paix ni justice. On veut simplement reparaître.

Et pour cela, on délègue. Corneille Nangaa, ce domestique des intrigues, parle en lieu et place des silencieux. Delly Sesanga, ce messager au costume impeccable, porte une supplique dissimulée sous les plis de la République. Tous réclament un siège, un micro, une part du gâteau empoisonné. Mais ils ne dialoguent pas. Ils quémandent. Fayulu, la CENCO, l’ECC : autant de silhouettes convoquées non pour leur poids moral, mais pour meubler la scène d’une pièce dont l’acte final a déjà été écrit sans eux.

L’ambition nue sous le masque. Car il ne s’agit pas d’un projet collectif, encore moins d’un idéal. Il s’agit d’une revanche privée. D’un retour non pas au service de la Nation, mais au service de soi. Kabila, ce sphinx du silence, et Katumbi, ce paon de province aux plumes ternies, incarnent désormais une ambition déchue, désespérée, presque grotesque.

En pactisant avec ceux qu’ils accusaient hier, ils ont ôté le masque. L’ennemi d’hier est l’allié d’aujourd’hui. La mémoire est une variable. La loyauté, une posture. Tout est réversible. Tout est marchandable. Sauf le ridicule, hélas. Ainsi s’achève la farce. Les rois déchus ont envoyé leurs bouffons au front. Mais même les bouffons se fatiguent. La République, elle, vacille, mais résiste. Et dans les coulisses du chaos, une certitude demeure : la stratégie des vaincus, c’est de faire croire qu’ils jouent encore, alors qu’ils ne sont déjà plus que des ombres sur le mur d’un jeu qu’ils ont eux-mêmes piégé.

Litsani Choukran, Le Fondé.Lien vers l’article : https://beto.cd/actualite/la-rdc-a-la-une/2025/05/05/kabila-katumbi-et-la-strategie-des-vaincus.html/181974/

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