vendredi, décembre 13, 2024
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En Ouganda, l’héritier encombrant du président Yoweri Museveni [TEMPÊTE DE TWEETS]

Texte par : Tom WHEELDON

Muhoozi Kainerugaba, le fils du président ougandais Yoweri Museveni et un ancien commandant des forces terrestres, s’est récemment fait remarquer en menaçant d’envahir le Kenya ou en proposant des troupes à Vladimir Poutine pour défendre Moscou contre « les impérialistes ». Des sorties tonitruantes sur les réseaux sociaux qui commencent à inquiéter alors que cet héritier pressé semble en passe de succéder à son père âgé de 78 ans.

Il tweete plus vite que son ombre sans se soucier des conséquences. Muhoozi Kainerugaba, le fils du président ougandais Yoweri Museveni, ne cesse de semer la zizanie dans son pays avec ses sorties outrancières et provocantes. En octobre 2022, il menace par exemple d’envahir le voisin kenyan. « Moi et mon armée, cela ne me prendrait même pas deux semaines pour prendre Nairobi », assure-t-il alors sur Twitter, son réseau social favori.

Face au tollé diplomatique et à la tempête médiatique, le président Museveni est contraint de limoger son fils de son poste de commandant des forces terrestres ougandaises. Le patriarche de 78 ans, qui dirige d’une main de fer son pays depuis près de 40 ans, exige également qu’il quitte définitivement Twitter.

Mais six mois plus tard, Muhoozi Kainerugaba est toujours omniprésent sur le réseau social. La semaine dernière, celui qui a été formé à la prestigieuse Académie royale militaire de Sandhurst, au Royaume-Uni, a ainsi assuré que « l’Ouganda devrait envoyer des soldats pour défendre Moscou en cas de menace des impérialistes ». Il avait également appelé précédemment à « respecter cet homme », accompagnant son texte d’une photo du président Poutine.

« Des commentaires irresponsables » proférés par « l’hériter du palais », résume Douglas Yates, professeur d’études africaines à l’American Graduate School (AGS) à Paris, selon qui les tweets de Muhoozi Kainerugaba sont comparables à ceux de l’ancien président américain Donald Trump.

« De nombreux responsables politiques pensent pouvoir agir comme Trump et dire tout ce qui leur passe par la tête. Mais tous apprendront un jour ou l’autre, y compris Trump, que les mots comptent et ont des conséquences ».

Se placer « en position d’outsider »

Des conséquences particulièrement visibles sur la politique intérieure ougandaise. Muhoozi Kainerugaba, qui a lancé ses propres radio et chaîne de télévision consacrées à son mouvement « MK » – un nom inspiré de ses initiales –, ne cache plus son désir de succéder à son père. Il a ainsi tweeté deux fois puis effacé des messages de candidature à l’élection présidentielle de 2026. « Cela fait 40 ans que l’ancienne génération est aux commandes », affirme-t-il, suggérant ainsi qu’il représente la jeunesse.

Ce n’est pas la première fois que Muhoozi Kainerugaba, 48 ans, égratigne le Mouvement de résistance nationale (NRM), l’organisation politique fondée par Yoweri Museveni, au pouvoir en Ouganda depuis 1986. En décembre, il a ainsi tweeté que le NRM était sans doute « l’organisation la plus réactionnaire du pays » et qu’elle « ne représentait certainement pas le peuple ougandais ».

À l’image du populisme de Donald Trump, Muhoozi Kainerugaba « tente de prendre ses distances avec le pouvoir et de se placer en position d’outsider », analyse Douglas Yates. Ces tweets soulèvent également la question brûlante de la succession de Yoweri Museveni, note Kristof Titeca, spécialiste de la gouvernance et des conflits en Afrique centrale et orientale à l’université d’Anvers.

« Au regard de l’âge avancé de Museveni, ce n’est plus de la fiction », estime le chercheur. « Le pouvoir est très centralisé et a fini par se concentrer dans les mains de sa famille. Il est très clair qu’après 2021, Museveni a mis en avant son fils pour tâter le terrain et voir s’il se montrait à la hauteur ».

« Cependant, ses tweets génèrent de plus en plus d’inquiétude au sein de l’establishment politique et militaire, la génération des ‘historiques’ arrivée au pouvoir avec Museveni », poursuit Kristof Titeca, pour qui cette communication pourrait être une manière de se positionner politiquement.  « Pourquoi Muhoozi ne cesse de tweeter de manière aussi provocante ? Certains y voient un simple trait de sa personnalité. D’autres estiment au contraire qu’il s’agit d’une stratégie claire inspirée de l’ascension politique de Donald Trump ».

La popularité de Yoweri Museveni en déclin

Depuis la prise de pouvoir de Yoweri Museveni et des « historiques », beaucoup de choses ont changé en Ouganda. En 1986, au terme d’une guérilla de cinq années, le NRM chasse du pouvoir le dictateur Milton Obote et jouit alors d’une image de force stabilisatrice. Aujourd’hui encore, Yoweri Museveni peut notamment compter sur le soutien du monde rural et des personnes âgées qui ont connu les profondes transformations économiques et sécuritaires des années 1990 et 2000.

>> À voir : En Ouganda, l’économie fragilisée par l’épidémie d’Ebola

Mais les critiques se font de plus en plus bruyantes depuis un changement de Constitution en 2005 qui a permis à Yoweri Museveni de briguer un troisième mandat. En 2017, « M7 » a également fait supprimer la limite d’âge permettant d’accéder à la fonction suprême, ouvrant ainsi la voie à une présidence à vie. Mais pendant ce temps, la jeunesse ougandaise continuait de ronger son frein. Dans ce pays parmi les plus jeunes au monde, près de 80 % de la population a moins de 35 ans.

« La popularité du régime est en déclin depuis environ 25 ans. Comme la jeunesse n’a connu qu’une période de paix relative, cela n’a pas beaucoup de sens pour eux de savoir que Museveni a pacifié le pays », analyse Kristof Titeca. « Ce qu’ils veulent, ce sont des emplois, la prospérité et des infrastructures ».

« La plus grande crainte du régime est un scénario de type « Printemps arabe » déclenché par la jeunesse », ajoute l’expert. « Le régime a construit une partie de son assise en recourant à la corruption et au népotisme mais cela plombe la croissance économique et le développement des services publics, qui sont pourtant essentiels à sa légitimité auprès de la jeunesse. La coercition est donc devenue un élément crucial pour le régime ».

L’ascension de Bobi Wine

Le principal opposant au régime a longtemps été Kizza Besigye, médecin personnel de Yoweri Museveni durant la guerre civile ougandaise devenu ensuite ministre de son gouvernement. Après une brouille entre les deux hommes, Kizza Besigye prend la tête du Forum pour le changement démocratique. En 2006, un contentieux électoral éclate, faisant apparaître des bourrages d’urnes massifs en faveur de Yoweri Museveni. Dix ans plus tard, l’ancien compagnon de route du président est accusé de « trahison » et se retrouve menacé et emprisonné à plusieurs reprises. Il ne se présentera pas à l’élection présidentielle de janvier 2021.

Lors de ce nouveau scrutin –entaché par une forte répression, selon les experts-, la figure du chanteur Bobi Wine a supplanté Kizza Besigye en tant que principal opposant du régime ougandais. Bobi Wine a émergé en utilisant la musique afrobeat pour mobiliser les jeunes électeurs.

Des chansons ragga (un sous-genre du reggae) qui s’apparentent selon lui à de « l’edutainment », comprenez un mélange entre éducation et divertissement. Un concept symbolisé par les paroles de son tube « Situka », qui signifie « Soulève-toi », sorti en 2016 : « Quand les leaders deviennent des traîtres, les mentors des tortionnaires, quand la liberté d’expression devient une cible à éliminer, l’opposition devient notre position ».

« Bobi Wine est une menace d’une nature radicalement différente de celle de Kizza Besigye pour l’establishment ougandais. Besigye représente la vieille école de la politique pour une grande majorité de la jeunesse », affirme Ben Shepherd, ancien conseiller auprès du ministère britannique des Affaires étrangères sur la région des Grands Lacs.

Après l’annonce de la victoire de Yoweri Museveni en 2021, Bobi Wine a accusé le président d’avoir truqué le scrutin, parlant même de « l’élection la plus frauduleuse de l’histoire de l’Ouganda ». Au lendemain des élections, il a été placé en résidence surveillée pendant dix jours. Après avoir déposé une réclamation auprès de la justice, il s’est finalement rétracté, arguant que les juges de la Cour suprême étaient acquis à la cause du président Museveni.

« L’un vient du ghetto, l’autre du palais »

Ces événements n’ont toutefois pas entamé la détermination de Bobi Wine. Interrogé par France 24 en septembre 2021, l’opposant assurait que « ce n’était qu’une question de temps » avant que le président Museveni ne « tombe dans les oubliettes de l’Histoire ». Il appelait alors le peuple ougandais à se « libérer » de la « dictature ».

« C’est un symbole pour la jeunesse ougandaise » et le « premier réel outsider à devenir le principal opposant au régime », rappelle Kristof Titeca, notamment parce que Bobi Wine est originaire du Buganda, dans le centre de l’Ouganda, et non pas de l’Ouest, région qui domine la vie politique du pays. « Cependant, être originaire du centre de l’Ouganda est à la fois une bénédiction et une malédiction car il n’a jamais été capable de devenir populaire en dehors de cette région », précise le chercheur.

Comme l’on pouvait s’y attendre, les deux hommes se sont férocement opposés ces dernières années, Bobi Wine surnommant Muhoozi Kainerugaba « le fils brutal » de « l’arrogant dictateur » tandis que « MK » ne voit en l’opposant au régime qu’un « bouffon ».

 « Il y une certaine similitude entre eux », explique Kristof Titeca. « Tous les deux prétendent représenter la jeunesse, même s’ils le font d’une position totalement différente : l’un vient du ghetto, l’autre du palais présidentiel ».

Selon l’expert, la popularité que Muhoozi Kainerugaba est en mesure d’atteindre reste discutable, tout comme l’efficacité de sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux. « Les tweets de Muhoozi sont suivis avec beaucoup d’amusement en Ouganda et il est clair qu’il veut jouer sur le même registre que Trump. Mais il est difficile aujourd’hui de savoir quel crédit lui sera finalement accordé et ce que cela signifie en termes de capital politique ».

Cet article a été adapté de l’anglais par Grégoire Sauvage. L’original est à retrouver ici.

AVEC FRANCE 24 ET AFP

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