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RDC : Tshala Muana, disparition d’une « DIVA » de la musique congolaise

« Une Reine est morte, vive la Reine ». L’artiste musicienne Elisabeth Tshala Muidikayi, célèbre sous son nom de scène de Tshala Muana s’est éteinte à l’âge de 64 ans aux petits heures du matin samedi 10 décembre 2022 à Kinshasa, capitale de la RDC. Son décès après un malaise est survenu dans un hôpital de la place où elle était internée depuis près d’une semaine pour ses problèmes liés au diabète et à la tension artérielle.

« Aux petites heures de ce matin, le bon Dieu a pris la décision de reprendre la Mamu nationale Tshala Muana. Que le bon Dieu soit glorifié pour tous les bons moments qu’elle nous aura fait passer sur cette terre. Adieu Mamu de moi » confirmait Claude Mashala, son dernier compagnon de vie connu sur son compte Facebook.

Originaire de la province du Kasaï Occidental aujourd’hui Kasaï Central, Tshala Muana est pourtant née dans celle du Katanga à Lubumbashi. Son succès planétaire démarre en Afrique de l’Ouest, notamment au Benin et surtout en Côte d’Ivoire en aout 1981 sur la scène du show-business ivoirien comme chanteuse sous l’impulsion de son compatriote zaïrois résident ivoirien de l’époque, le guitariste Souzy Kaseya avec qui elle s’installera à Paris en France durant un temps.

Quand le public ivoirien la découvre pour la première fois le 7 août 1981, lors du concert de Jimmy Hiancynthe, sa danse de « Mutuashi » séduit tous les spectateurs présents ce soir-là au Centre Culturel de Treichville ; car c’était la première fois qu’on voyait une chanteuse bouger ses hanches de cette manière. Au cours de cette même soirée du 7 août, l’apparition d’un chat noir au-dessus de la scène, au moment même où Tshala Muana se trémoussait avait intrigué les spectateurs qui se demandaient si ce n’était pas un signe prémonitoire de la naissance d’une étoile.

Pourtant c’est plutôt qu’elle démarre la musique à Kinshasa en 1977 comme choriste d’abord aux côtés de Laurent Galans, puis danseusepour ses deux icones féminines de la musique congolaise dans le groupe Tcheke Tcheke Love de la chanteuse Mpongo Love puis pour Abeti Masikini et enfin pour le groupe Minzoto Wela Wela du célèbre Père Buffalo.

Surnommée « Mamu Nationale », elle fut proclamée « La Reine du Mutuashi », un genre de danse sur fond de la musique traditionnelle du Grand Kasaï : « Elle savait magnifier cette culture de notre pays. C’était une grande dame, un cœur, une grande professionnelle, une femme de convictions. Personne ne parlera de la culture Luba [nom de la tribu de Tshala Muana, NDLR] comme elle, on l’appelait « Mamu Nationale », parce qu’elle incarnait justement cette maternité » témoigne son ami Jean-Marie Kassamba, journaliste et patron de la chaine TV Télé 50.

Elle le lui rendait bien comme dans le clip de sa chanson « Menteur » tourné dans l’appartement de Kassamba en banlieue Sud de Paris dans l’Essonnes dans la commune de Chilly-Mazarin comme à Kinshasa lors de l’anniversaire de l’épouse de celui qu’elle disait son petit-frère.

Et puis vint la politique…

En 1997 que Tshala Muana décide de rentrer au pays dans la foulée de la victoire des rebelles de L’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) sur le Marechal Mobutu Sese Seko chassé du pouvoir afin de militer aux côtés du nouveau président Laurent-Désiré Kabila qui fera d’elle « Députée » de 2000-2002 de l’ACL-PT (Assemblée Constituante et Législative du Parlement de Transition) de l’époque.

Elle fonde l’association Regroupement des Femmes Congolaises (REFECO)avant de devenir Présidente de la Ligue des Femmes du PPRD, le parti de Joseph Kabila en 2002. Elle restera très proche de l’ancien président de la République jusqu’à sa disparition de ce mois de décembre 2022 bien qu’elle se plaignît du comportement de certains caciques du parti à l’instar de Ramazani Shadary qui daignait même plus la prendre au téléphone. En 2011, elle fut battue aux législatives dans la circonscription de Kananga (Kasaï Occidental).

Des tubes populaires signés Jojo Nkashama

C’est une autre rencontre avec un autre personnage talentueux, Georges Nkashama Tujibikile dit Jojo Nkashama, auteur compositeur de l’album « Malu [les problèmes d’ici-bas et leurs sources] » qui signera le retour de la « Diva » sur la scène musicale nationale. Il faut aussi ajouter du même auteur-compositeur de talent Jojo Nkashama les chansons « Tshanza », « Dinanga » etc… Elle y sera restée plus de 40 ans de scène et de succès avec plusieurs décorations tout au long de sa carrière.

L’embrouille pour de questions d’argent et la fin de la collaboration entre Tshiala Muana et feu le Maestro Jojo Nkashama d’heureuse mémoire marqueront la fin de la Reine de « Mutuashi ». L’auteur du tube « Malu » mourra assassiné le 24 novembre 2010 à l’Hôpital St-Luc de Bruxelles après avoir été égorgé dans un appartement d’Ixelles en Belgique selon des rumeurs. Il laissait derrière lui un projet d’un disque qu’on annonçait époustouflant de son talent.

Le « Mutuashi » de Tshala Muana, ce folklore modernisé du Kasaï et inspiré par la culture « Luba » feront danser le monde.  Bien que la cérémonie n’ait jamais été publiquement révélée et demeure sujette à des discussions, Tshala Muana aurait été intronisée « Reine de Mutuashi » par les chefs coutumiers du Grand Kasaï pour sa contribution à la valorisation de la culture Luba, du nom de sa tribu.

Qui fut la « Diva » Tshala Muana ?

Élisabeth Tshala Muana Muidikayi, originaire du Kasaï Occidental, est née le 13 mai 1958 à Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi), est une chanteuse, danseuse, productrice, actrice et femme politique congolaise. Deuxième d’une famille de dix enfants, elle est la fille d’Amadeus Muidikayi, militaire de son état, tué en 1964 lors de la guerre contre les rebelles mulelistes Simba à Watsha et d’Alphonsine Bambwa Ntumba décédée à Kinshasa en 2005.

Congolaise au caractère bien trempé et aux multiples talents artistiques (danseuse, chanteuse, auteure-compositeure, arrangeuse, productrice…), elle aura marqué l’Histoire de la musique congolaise moderne en donnant une touche supplémentaire et ses lettres de noblesse au folklore du peuple Luba, le « Mutuashi » ; ce qui lui vaudra une renommée nationale et internationale. Mais aussi le sacre comme la « Reine du Mutuashi », cette danse dont l’origine remonte probablement au Moyen Âge et l’appellation de « Mamu Nationale (Mère de la Nation) ».

Une discographie abondante

Avec une carrière aussi longue, elle totalise 23 albums et huit 45 tours à son compteur. Quand le public ivoirien la découvre le 7 août 1981, lors du concert de Jimmy Hiancynthe. Le « mutuashi » de Tshala Muana, séduit tous les spectateurs présents ce soir-là au centre culturel de Treichville. C’était la première fois qu’on voyait une chanteuse bouger ses hanches de cette manière.

Au cours de cette soirée du 7 août, l’apparition d’un chat noir au-dessus de la scène, au moment même où Tshala Muana se trémoussait a intrigué les spectateurs qui se demandaient si ce n’était pas un signe prémonitoire de la naissance d’une étoile.

À partir des années 2000 tant bien que mal, Tshala Muana assurait elle-même la production de sa musique et dès 2008, celle de jeunes talents ; notamment MJ30, Jos Diena, Lula Tshanda et Boss Bossombo. Bien que diminuée physiquement avec ses problèmes de santé, le 7 Août 2022, elle était encore aux côtés de sa sœur Ivoirienne Aïcha Koné pour ses 45 ans de carrière.

Discrète sur sa vie privée où on ne la reconnait ni enfant ni mariage officiel, la rumeur lui a prêté plusieurs relations, notamment avec les anciens Chefs d’Etat comme Omar Bongo Ondimba du Gabon, tout comme Laurent-Désiré Kabila. Le fait qu’elle vivait avec Claude Mashala ne faisait pas d’elle l’épouse officielle car son compagnon était légitimement marié à une autre femme depuis 1989 avec qui ils ont 5 enfants.

Tshala Muana laisse derrière elle un héritage musical très riche constitué des chansons de bonne facture comme Malu, Amina, Tshebele, Mutuashi, Tshanza, Lekela Muadi et autres.

1984 : Mbanda matière

1985 : Kami, Nasi nabali et M’Pokolo

1987 : La Divine et Antidote

1988 : Munanga et Biduaya

1989 : The best of Tshala Muana

1992 : Yombo

1993 : Elako

1994 : Ntambue

1996 : Mutuashi

1997 : Katsha Waya

1999 : Pika Pendé

2002 : Dinanga

2003 : Malu

2004 : Tshanza

2006 : Mamu Nationale (2 vol.)

2007 : Tshikuna Fou

2008 : Encore et Toujours

2009 : Sikila

2013 : Vundula

2015 : Lunzenze

2016 : Cour des grands

2018 : Don de Dieu (feat. Mbilia Bel)

Une anecdote…

Jeune journaliste stagiaire à l’Hebdomadaire KYA de la province du Bas-Zaïre (Kongo Central aujourd’hui) dirigé par mon maitre et Professeur Georges-Jérémie Wawa Mozanimu Nguyamba Sayal, j’étais chargé de la couverture culturelle avec une page sur la Musique et les Sports.

Dans le cadre d’une série de rencontre avec la scène musicale du pays intitulée « Face-à-Face avec la Presse » organisée par l’Association des Chroniqueurs de Musique du Zaïre (Acmza) dirigée par feu Lady Luya Kaleka au Centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa, je suis tenu à rencontrer pour la première fois l’artiste Tshala Muana que je n’avais toujours vue qu’au travers de l’écran de télévision.

Notre rendez-vous pour une interview exclusive a lieu dans sa chambre de l’Hôtel Intercontinental de l’époque, aujourd’hui le Pullman Kinshasa Grand Hôtel. D’emblée, je suis ébloui par la beauté physique de cette jeune femme dynamique au teint clair qui a fait le bonheur des mélomanes du monde. Et ce, au travers de sa danse avec son jeu de bassin, ses coups de reins sur son nombril dévêtu dans une jupe fendue sur le côté, une chorégraphie et une séquence toujours parmi les moments les plus forts de ses concerts qui déclenchaient de fantasmes dans le public.

Pourtant elle m’avoue sa « solitude » de personne humaine après ses moments de communion et de joie avec des fans dans les salles de concert ou ailleurs à travers le monde : « Vous savez, après le concert, c’est seule que je me retrouve soit dans mon appartement, soit dans une chambre d’hôtel sans personne avec qui échanger ». Ce qui avait fait titrer mon article de l’époque : « Tshala Muana a un gros problème, elle est seule ! ».

De Tshala Muana il n’y a pas que la danse, mais aussi des messages bien destinés. Dans un de ses tubes, elle rassure une rivale qui lui vole son homme et lui dit, « Amina, je ne vais pas te garder rancune, l’homme est comme un lit d’hôpital qui reçoit tous les malades ». Et comme un clin d’œil, c’est dans un lit d’un hôpital de Kinshasa qu’elle a rendu son dernier souffle.

Certes qu’elle est partie, mais une étoile continuera de briller au firmament au travers de ses œuvres, et à inspirer des nombreux jeunes autres talents congolais. Un profond respect et une admiration pour la grande artiste, RIP !

Roger DIKU

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