Dans les provinces du grand Bandundu (Maïndombe et Kwilu), la seconde moitié du mois de septembre 2022 a été particulièrement sanglante. Un conflit entre les communautés Teke et Yaka à Kwamouth à l’embouchure de la rivière Kasaï sur le fleuve Congo, a dégénéré en affrontements d’une rare violence. Avant de se répandre comme une traînée de poudre pour gagner le Kwango à quelques encablures de Kinshasa la capitale de la RDC.
Quelques jours à peine après le déclenchement de ces hostilités à la suite d’une banale affaire de taxes coutumières dues par les Yaka, non originaires de la région, aux Teke, qui couvait depuis deux mois ; les victimes se comptent par plusieurs dizaines. Mercredi 21 et jeudi 22 septembre 2022, au moins 80 personnes (supplémentaires !) auraient ainsi péri à Bibonga, Engweme et Bisiala, en territoire de Kwamouth, à la suite d’attaques perpétrées par des assaillants munis d’armes blanches et à feu.
Sur la rive gauche de la rivière Kwango, la localité de Mbusie en face de Bagata a été elle aussi attaquée par des assaillants qui ont mis le feu à des habitations et pourchassé les villageois jusque dans les ilots où ils avaient trouvé refuge.
Du Maïndombe au Kwilu et au Kwango
Toujours dans le territoire de Bagata (Kwilu), le village de Fabiese a été attaqué, entraînant d’importants mouvements de populations vers Mopene. Samedi 24 septembre, des hommes armés, manifestement en provenance de Kwamouth s’en sont pris au chef du village de Bukusu dans le groupement de Fayala, qu’ils ont assassiné à la machette.
Cette insécurité grandissante à l’Ouest de la RDC est à l’origine d’une grave crise humanitaire due à d’importants mouvements de populations fuyant les atrocités vers les localités du Kwango, du Kwilu et dans la capitale Kinshasa.
Une grande confusion règne dans l’identification des assaillants et des motivations justifiant les tueries déplorées. Lundi 26 septembre, à l’issue d’une réunion présidée par le 1er ministre Jean-Michel Sama Lukonde à Kinshasa, le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur Daniel Aselo a évoqué une « main noire » derrière les tueries de Kwamouth.
Selon lui, ce nouveau défi nécessite l’implication de l’ensemble du peuple congolais aux côtés des services de sécurité et des forces de défense pour venir à bout des insurgés tapis dans les forêts et savanes de la région. Le n° 1 du ministère en charge de la sécurité a invité à l’occasion les populations à dénoncer « les infiltrés » et « les inciviques » congolais qui se lancent dans des actes de déstabilisation du pays.
Le terme « Infiltrés » lâché par le gouvernement révèle une nouvelle dimension de ce qui n’était au départ qu’un conflit interethnique né du refus par des populations non autochtones de s’acquitter de taxes coutumières. Pour l’exécutif national, la chienlit dans l’ex-Bandundu, n’était donc peut-être plus une simple vendetta opposant Teke et Yaka. D’autant plus que les victimes enregistrées au Kwilu voisin, en territoire de Bagata, n’avaient rien à voir avec les fameuses taxes non payées par les Yaka à Kwamouth.
Lundi 26 septembre 2022 à Fatundu, des déplacés fuyant les tueries par la RN17 dénonçaient la présence d’assaillants non identifiés, qui n’étaient ni Teke ni Yaka et qui avaient égorgé à Bukusu un certain pasteur Pierrot.
Psychose d’infiltration
Ces informations alimentent une psychose rampante qui gagne l’Ouest de la RDC. Ainsi, à Bandundu-Ville, chef-lieu de la province du Kwilu, dès 20 heures, les rues sont désertées, les habitants se calfeutrent chez eux, terrorisés, rapportent des témoins.
Les autorités politico-administratives ont suspendu le trafic sur la RN17 entre Mongata et Bandundu-Ville, des « infiltrés » étant soupçonnés de couper la RN1 pour attaquer la capitale Kinshasa.
Dans la capitale elle-même, plusieurs sources font état d’infiltrés déguisés en fous errants, ce qui entraîne le lynchage systématique de certains parmi ces malheureux ci et là, selon des images circulant sur les réseaux sociaux.
Le 25 septembre 2022, une note attribuée à Esdras Kambale Bahekwa, ambassadeur de la RDC à Bangui (RCA) évoquait l’éventualité d’un encerclement de la RDC par le Rwanda, notamment à partir du territoire centrafricain. Le document daté du 23 du même mois, renseigne, carte géographique à l’appui, que des militaires rwandais seraient déployés à Mbaïki (Sud de Bangui) et à la frontière avec la RDC en territoire de Libenge ; à Damara, ville natale du président centrafricain Archange Touadéra, peu éloignée de la ville congolaise frontalière de Zongo. Des éléments FDR sont également signalés par le diplomate à Bangassou, ville frontalière avec Ndu dans le Bas-Uélé et dans d’autres localités de la RCA.
Kambale, connu pour avoir œuvré au sein des services d’intelligence rd congolais, ajoute que « des militaires rwandais rentrés au pays reviennent en RCA en qualité d’investisseurs dans l’agriculture, le commerce général et d’autres secteurs productifs (en réalité, ce sont des réservistes). Ils peuvent facilement opérer en RDC à partir de la RCA ».
La main noire
Il n’en fallait pas plus pour qu’à Kinshasa et sur l’ensemble du territoire national l’opinion voie dans les « infiltrés » de l’ex-Bandundu la main noire de Kigali dont les troupes appuient les terroristes du M23 à l’Est, notamment dans la ville frontalière de Bunagana dans le Nord-Kivu.
Lundi 3 octobre 2022 à Bangui, l’ambassadeur Esdras Kambale a été convoqué par la ministre des Affaires étrangères centrafricaine, Sylvie Baïpo Témon, pour « mettre en lumière les élucubrations ayant pour velléités de nuire à l’excellence des relations de coopération bilatérale entre nos deux pays », selon elle. Une initiative qui n’est pas parvenue à taire la rumeur d’un encerclement hostile de la RDC par le Rwanda à partir de la RCA circulant avec insistance depuis plusieurs mois, en raison notamment de la forte présence militaire rwandaise dans ce pays.
A l’Assemblée nationale centrafricaine, Alexandre-Ferdinand Nguendet a écrit au président de la chambre parlementaire pour exiger la mise en place d’une commission parlementaire et le recours à l’expertise des Nations-Unies pour faire la lumière à cet égard. Parce que selon ce député de l’opposition, par ailleurs ancien président de la République de la transition en RCA, « des miliciens du M23 stationnent dans plusieurs régions frontalières, sous uniforme rwandais, dans le but de menacer le pays voisin. Ils ne sont pas dans le contingent officiel, envoyé ici par le Rwanda. Ils sont dans une autre dynamique car ils n’interviennent pas sur le théâtre des opérations entre les groupes rebelles. Ils sont passés tout au long de la rivière Oubangui pour déstabiliser la RDC ».
La main blanche
Un certain nombre d’autres observateurs estiment que dans la partie Est de la RDC comme dans l’ex-Bandundu, les prétendus conflits interethniques cachent en réalité la guerre hybride ou indirecte ciblant ce pays dans le but de perturber l’exploitation des ressources naturelles, minières, pétrolières et gazières par des opérateurs autres qu’occidentaux, principalement américains.
C’est le point de vue que défend depuis 2015 Andrew Korybko, un commentateur américain de l’Université de Ngimo. « Washington a décidé d’intensifier ses agressions et de procéder à la déstabilisation du cœur géopolitique de l’Afrique, le Congo afin de compromettre le commerce de cobalt de la Chine avec le pays et bloquer par la suite les plans de Pékin pour devenir le leader dans le domaine des batteries électriques et en récolter tous les avantages stratégiques », écrit-il.
A en croire les partisans de cette thèse, derrière la main noire dénoncée par les autorités congolaises se dissimule donc une main blanche, occidentale et américaine, qui n’en serait du reste pas à sa première tentative du genre, selon Korybko. En effet, peu avant l’élection présidentielle de 2018 sanctionnée par la passation pacifique du pouvoir entre un chef d’Etat sortant et un chef d’Etat entrant, la vague des violences enregistrée dans la partie Ouest du pays de Lumumba avait été le prélude à une « révolution de couleur » fomentée par des puissances étrangères sous prétexte d’une opposition à un pseudo troisième mandat consécutif que le président sortant Joseph Kabila se préparait à exercer.
Ce prétexte ayant disparu avec l’avènement de Félix Tshisekedi, leader incontesté de l’opposition à Kabila, le tumulte qui s’observe en RDC trouverait son explication et sa justification dans les « atermoiements » du 5ème Président de la République à tirer un trait définitif sur la diversification des partenariats économiques initiée par son prédécesseur au grand dam des occidentaux.
Selon un rapport publié par le Financial Times en 2017, grâce au cobalt congolais, la Chine contrôlerait 62 % du marché mondial de ce minerai stratégique, se plaçant ainsi avantageusement à l’avant-garde du mouvement mondial vers les véhicules électriques avec la possibilité de contrôler l’avenir des systèmes de transport personnels, commerciaux et militaires. Or, l’empire du milieu importe 93 % de son cobalt de la RDC, selon Bloomberg. Un ratio que les Etats-Unis n’acceptent pas. D’où, les pressions sur le nouveau pouvoir congolais pour inverser la tendance.
J.N. AVEC LE MAXIMUM
Article à lire sur Guerre Hybride aux Portes de Kinshasa : La main noire est aussi blanche https://lemaximum.cd/2022/10/06/a-la-une/guerre-hybride-aux-portes-de-kinshasa-la-main-noire-est-aussi-blanche/