vendredi, décembre 13, 2024
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RDC : UDPS 40 ans, Lettre ouverte au Citoyen Mobutu Sese Seko [DOCUMENT]

Lettre ouverte au Citoyen Mobutu Sese Seko

Président-Fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution Président de la République du Zaïre

« Celui  qui a la conscience d’avoir mérité de son Pays et surtout  de lui être encore utile; celui que ne rassasie pas une vaine célébrité et qui dédaigne les succès d’un jour pour une véritable gloire, celui qui veut dire la vérité, qui veut faire le bien public indépendamment des  mobi­les mouvants de l’opinion populaire, cet homme porte en lui la récompense de ses services, le charme de ses peines et le prix de ses dangers; il ne doit attendre sa moisson, la destinée de son nom, que du temps, ce juge incorruptible qui fait justice à tous ». MIRABEAU

Kinshasa, le 1er novembre 1980

Citoyen Président Fondateur,

Dans votre discours du 1er juillet 1977 à la Cité du Parti à N’Sele, après avoir constaté que la voix du Peuple était souvent étouffée, et qu’elle risquait de se faire entendre trop tard, Vous ajoutiez ceci :

« Le Mouvement Populaire de la Révolution est un parti démocratique et non un parti dictatorial. Le Peuple zaïrois doit aussi avoir l’occasion d’émettre des critiques constructives ; car, à mon sens, toute critique objective fait partie de l’exercice de la démocratie. Une critique ne devient subversive que quand elle est clandestine, sournoise et destructive (1). »

Pour la première fois, permettez-nous de faire usage de cette liberté démocratique que Vous avez publiquement reconnue. Et permettez-nous d’en user en nous adressant directement à Vous-même. Les problèmes soulevés ici ayant un caractère public, nous avons jugé bon de donner à la présente la diffusion qu’elle mérite.

Citoyen Président-Fondateur,

Les réflexions qui suivent ne sont ni satire ni procès. Elles sont tout simplement le résultat de nos préoccupations quotidiennes, des interrogations qui découlent tout naturellement de la confronta­tion de notre réalité d’aujourd’hui avec Vos déclarations publiques. À commencer par Votre profession de foi du 24 novembre 1965 et votre discours-programme du 12 décembre 1965, en passant par le Manifeste de la N’Sele et par toutes les déclarations qui sont venues compléter ces principes de base.

Vu sous ce rapport, nous préférons opter pour un langage mili­tant, c’est-à-dire dépouillé de toute hypocrisie et de toute flatterie.

Citoyen Président-Fondateur,

Le 24 novembre 1965, par un coup d’État, Vous preniez la grave décision d’assumer personnellement la Magistrature Suprême de notre pays. Les justifications fournies à cette occasion, dans la mesure où elles n’ôtaient pas au Peuple son rôle primordial, nous ont convaincus de votre sens patriotique et de votre désir de con­duire notre jeune et grande Nation vers le bonheur et la prospérité.

Le 12 décembre 1965 notamment, devant la Nation représentée au Stade du 20 Mai, Vous avez prononcé un sévère réquisitoire, suivi d’une analyse critique de la situation politique, économique, financière et sociale. Vos paroles n’ont pu qu’émouvoir les cœurs sensibles et Vous ont valu la confiance et l’enthousiasme d’un Peuple fraîchement libéré d’une longue domination coloniale. Une nou­velle page d’histoire était tournée. De nouveaux espoirs légitimes naissaient.

Depuis lors, quinze ans se sont écoulés. Tout au long de votre règne, Vous n’avez cessé de nous répé­ter que « les problèmes du Zaïre, le sort du Zaïre doivent être réglés entre nous, au Zaïre, et non point à l’étranger ».

Nous sommes de ceux qui attachons de l’importance à la nécessité de voir les problèmes zaïrois résolus par les Zaïrois. C’est pourquoi nous avons choisi de rester dans le pays et, chaque fois que l’occasion nous en a été donnée, nous n’avons pas manqué d’apporter notre franche et loyale contribution à son édification. Cette option n’est pas synonyme de résignation. Elle trouve son fondement dans l’amour, dans le profond attachement à notre pays et dans l’adhésion au modèle de société que le Manifeste de la N’Sele propose à notre Peuple.

Citoyen Président-Fondateur,

Si, au terme de ces quinze ans d’un Pouvoir que Vous avez exercé sans partage, nous avons connu des périodes de prospérité (entre les années 1967 et 1970), ce dont, nous Vous félicitons, nous devons cependant reconnaître que, depuis lors, la situation du Zaïre est devenue de plus en plus préoccupante sur tous les plans. Déjà en 1977, ne disiez-Vous pas Vous-même avec raison :

« L’état actuel de notre société est des plus préoccupant et chaque secteur de la vie nationale se trouve dans un état critique qu’il serait vain d’ignorer » (2).

Et Vous posiez le diagnostic en précisant que le « Mal zaïrois n’est pas d’ordre économique ou administratif. Il est essentiellement d’ordre politique et moral » (3). En d’autres termes, il y a une crise profonde de confiance tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. À l’intérieur, les populations boudent manifestement le Parti et paraissent blasées par la multitude de slogans qui se contredisent et ne se traduisent jamais dans la réalité quotidienne. Sur le plan international, et à en croire les échos qui nous parviennent, le Zaïre a perdu toute crédibilité et ses dirigeants sont considérés comme les plus mauvais gestionnaires qui soient.

En rapport avec la gravité de la situation, Vous avez préconisé des remèdes, à caractère essentiellement politique entre autres : « la mise en pratique effective de toutes les libertés notamment la liberté d’opinion, c’est-à-dire le droit pour le gouverné d’émettre des critiques constructives à l’égard des gouvernants (4) ».

Il s’en est suivi des réformes politiques et économiques qui se voulaient prudentes et progressives. Si les réformes politiques ont connu un début d’exécution avec l’organisation des élections législatives de 1977, donnant naissance à un Conseil Législatif dont l’action a redoré le blason du Zaïre, il n’en va pas de même des réformes économiques.

Alors que nous nous attendions à ce que ces réformes politiques soient suivies des réformes économiques, alors que la Nation souhaitait vivement voir se poursuivre l’action du Conseil Législatif, et renforcer ses pouvoirs, votre discours du 4 février 1980, de même que les menaces proférées à maintes reprises à ­l’endroit des Parlementaires, sont venus arrêter l’élan et l’enthou­siasme des Commissaires du Peuple qui, plus que d’autres Cadres du Parti, passent pour les plus crédibles aux yeux des masses et de l’Opinion Internationale.

Nous avons parlé des réformes économiques. Elles sont restées plutôt des vœux pieux. Pourtant, n’aviez-Vous pas, le premier, reconnu que « le système économique zaïrois est trop centralisé, le pouvoir central se réserve souvent le droit exclusif d’opérer certaines prestations financières, commerciales ou administratives ». C’est pourquoi, ajoutiez-Vous : « nous allons opérer une décentralisa­tion de notre économie : décentralisation au niveau de la territoriale (Régions, Sous-Régions, Zones et Collectivités locales) et décentralisation au niveau de la gestion » (5).

Plus tard, Vous déclariez que « les trois quarts de la masse monétaire du pays sont concentrés à Kinshasa : l’essence, les produits alimentaires, pharmaceutiques, et autres importés de l’étran­ger, demeurent à Kinshasa alors que les devises pour leur importation proviennent en quasi-totalité de la sueur des populations des zones industrielles et agricoles de l’intérieur du pays ».

Et Vous concluiez avec raison : « Dès lors, l’on peut comprendre en partie l’échec de tous nos programmes de relance agricole et de développement du pays » (6).

Et Vous ajoutiez encore ceci : « Avec la nouvelle équipe ministérielle issue desdites réformes, je tiens à sortir notre pays de la crise économique. Pour y parvenir, nous devons avant tout nous atteler au développement rural » (7).

Depuis lors, plusieurs équipes ministérielles se sont succédé au Conseil Exécutif et l’on attend toujours les premiers signes de la perspective de fin de crise. Le secret résidait-il dans la réforme ou dans la permutation des hommes ?  L’expérience prouve, aujourd’hui, que le problème est plutôt ailleurs.

C’est dans le système, c’est-à-dire dans la conception des structures politiques qu’il faut, croyons-nous le rechercher. La crise est structurelle. Il ne s’agit pas d’une crise d’homme, de Cadre comme Vous ne cessez de le répéter. Dans les structures du MPR, même les Cadres les plus expérimentés doivent être incompétents. À la Banque du Zaïre, M. Blumenthal, expert de renommée internationale, ne s’est-il pas révélé incompétent ?

Sans doute considériez-vous le Plan Mobutu comme fer de lance pour sous-tendre la relance économique et assainir les finances publiques. Bien qu’il soit mal aisé de le clamer tout haut, l’opinion publique, alimentée par radio-trottoir, est actuellement convaincue que notre beau plan est un mort-né. Il n’est plus qu’un souvenir douloureux à inscrire dans l’histoire, la triste histoire d’autres beaux plans chimériques qui ont déçu les espoirs.

Mais, n’anticipons pas. Pour mieux comprendre notre démarche qui est en même temps un cri d’alarme, nous allons procéder étapes par étapes en partant de la Proclamation du Haut­ – Commandement jusqu’aux récentes réformes annoncées par le Bureau Politique, et en examinant chaque domaine, pour mieux apprécier les résultats obtenus.

  1. Domaine politique

Le 24 novembre 1965, Vous disiez de l’Ancien Régime : « Si la situation militaire était satisfaisante, la faillite était complète dans le domaine politique. Les dirigeants politiques se sont cantonnés dans une lutte stérile pour accéder au pouvoir sans aucune considération pour le bien-être des citoyens de ce pays » (8).

Dans votre Discours-Programme du 12 décembre 1965 au Stade du 20 Mai, Vous ajoutiez, parlant toujours des politiciens du Régime Kasa-Vubu-Lumumba : « Rien ne comptait pour eux si ce n’était le pouvoir […] et ce que l’exercice du pouvoir pouvait leur apporter. Se remplir les poches, exploiter le Congo et les Congolais, voilà ce qu’était leur devise. À tous les échelons, nombre de ceux qui dans notre pays avaient une parcelle du pouvoir public, se lassaient corrompre, avantageaient les personnes ou les Sociétés qui leur payaient des pots-de-vin et négligeaient les autres. Leur activité professionnelle n’était plus inspirée par l’intérêt national ou provincial, mais uniquement par leur intérêt propre. Je viens de vous démontrer que nous étions menacés de l’intérieur. Nous l’étions tout autant de l’extérieur. Certains politiciens, pour se maintenir ou pour reprendre le pouvoir, n’ont pas hésité à faire appel à des puissances étrangères. Ils se sont déclarés prêts à vendre le pays et le Peuple congolais à la condition expresse qu’ils soient aidés à se maintenir ou à repren­dre le pouvoir. Pour satisfaire leurs ambitions, ils étaient sur le point de sacrifier notre indépendance, notre souveraineté et notre bonheur de Peuple libre » (9).

Avec l’avènement du MPR en 1967, et toujours sur le plan politique, voici le modèle de société que le Manifeste de la N’Sele nous promettait :

  • La restauration de l’autorité de l’État et son prestige international ;
  • Le respect des libertés démocratiques ;
  • La participation active directe ou indirecte de chacun à la discus­sion publique des problèmes de la vie commune ;
  • La confrontation permanente des intérêts, des besoins, des nécessités économiques ou politiques ;
  • Libérer les Zaïrois et les Zaïroises de toutes servitudes et assurer leur progrès en édifiant une République vraiment sociale et vrai­ment démocratique ;
  • La Révolution ne se fera pas par l’écrasement de l’individu ;
  • La liberté humaine est au centre des préoccupations du MPR ;
  • Suppression des oppressions politiques ;
  • Réaffirmation de grandes libertés traditionnelles : liberté d’opi­nion, liberté de Presse, liberté de conscience ;
  • Le citoyen doit être respecté dans sa liberté qui lui rend la force de son dévouement ;
  • Le MPR respectera les libertés fondamentales et facilitera leur exercice.

Depuis lors treize ans se sont écoulés. Qu’avons-nous vécu ? Que vivons-nous aujourd’hui ?

Tout en se voulant un parti démocratique, le premier acte posé par le MPR fut de méconnaître au Peuple un des droits naturels les plus élémentaires : le libre choix. Le MPR est un parti qui recrute ses membres par la force. Un de ses slogans de base tra­duit ce caractère coercitif : « Que vous le vouliez ou non, vous êtes du MPR » (Olinga olinga te, Ozali MPR).

Et cette première entorse à la liberté a, hélas, été institutionnalisée. Pourtant, la liberté est le bien le plus cher de l’homme, un don naturel qu’aucun chef temporel n’a le droit de s’approprier, qu’aucun Peuple n’a le droit d’aliéner.

John Milton n’écrit-il pas : « Notre liberté ne nous vient pas d’un César. Elle est une béné­diction reçue de Dieu lui-même. Nous l’avons reçue en naissant. Mettre cette liberté aux pieds d’un César, alors qu’elle ne nous vient pas de lui, que nous ne lui en devons aucune reconnais­sance, serait un acte indigne de nous, qui dégraderait notre nature elle-même » (10).

Dans votre Régime, Citoyen Président-Fondateur, la Presse est étatisée. De nombreuses démarches tendant à obtenir sa libéralisation se buttent toujours contre une fin de non-recevoir. La Presse étrangère qui entre dans le pays, est censurée. Cependant, cette censure est loin d’être efficace puisque, en fin de compte, les Ser­vices de Sécurité qui saisissent les journaux ou revues critiquant le Zaïre (en donnant des informations exactes mais gênantes pour le pouvoir), finissent par les vendre à un prix d’or. Ceux qui les acquièrent en assurent une large diffusion par des photocopies. Et le Peuple d’ironiser en disant que le « rideau de bambou » érigé par le Pouvoir n’est pas aussi insonore que le « rideau de fer » dans les pays communistes.  De cette situation, est né un phéno­mène propre au Zaïre : ‘‘la radio-trottoir’’. Vous avez reconnu Vous-même sa puissance par rapport à la Voix du Zaïre. La clandestinité s’y mêle par la prolifération des tracts.

Il s’ensuit une sous-information générale, des déformations fré­quentes ou même tout simplement des inventions qui souvent nuisent à la crédibilité du Régime. Comment dès lors concilier cette situation avec le prescrit du Manifeste de la N’Sele, d’une part, et vos déclarations fracassantes et constantes selon lesquelles « le Peuple zaïrois dont la maturité n’est plus à mettre en doute, doit pouvoir s’exprimer en toute liberté et toute légitimité d’autre part » (11).

Citoyen Président-Fondateur,

Sur les thèmes de liberté et de démocratie, Vous avez dit beaucoup de bonnes choses. Des choses qui en soi sont justes, et qui per­mettent de croire que Vous pouvez vous conformer à Votre profes­sion de foi du 24 novembre 1965 et au Manifeste de la N’Sele. Vous tenez à Vous faire admettre comme un Chef démocratique et non despotique. Mais entre le discours et l’action, la marge est malheureusement trop grande, hélas ! C’est pourquoi, permettez-nous de soumettre à votre méditation, Vous qui êtes le Premier Responsable de notre devenir, les réflexions suivantes :

« La tolérance à l’égard de différentes opinions politiques constitue le seul moyen d’éviter une révolte violente et la seule façon de réaliser une unité nationale réelle et durable. S’il existait effectivement des risques dus à l’expression d’opinions dangereuses ou déloyales, leur importance est bien moindre que celle des risques dus au silence imposé par la crainte » (12).

« La liberté de la parole et la liberté de la Presse constituent ce que l’on pourrait appeler le moteur du processus démocratique. Sans la liberté de discuter, de critiquer, de différer d’opinions, d’encourager une modification dans la politique officielle, la démocratie aurait bien du mal à fonctionner » (13).

  1. 1. Discours présidentiel du 1er juillet 1977, Ed. IMK [page manque]
  2. 2. Discours présidentiel du 25.11.1977 Ed. IMK, p. 11
  3. 3.      3. Discours présidentiel du 25.11.1977, Ed. IMK p.11

4 Discours présidentiel du 25.11.1977, Ed. IMK p.14

5 Discours présidentiel du 01.07.1977, Ed. IMK, p.13.

6.Discours présidentiel du 25.111977, Ed. IMK, p.13

  1. 1.      7. Discours présidentiel du 1.07.1977, Ed. IMK, p. 9.
  2. 2.      8. Proclamation du Haut-Commandement du 24.11.1965.
  3. 3.      9. Discours, Allocutions et Messages, Ed. J.A, 1975, Paris, p.20 et 21.
  4. 4.      10. Alan Barth : Héritage de la liberté, Ed. France-Empire, 1971, Edition bilingue, p.33.
  5. 5.      11. Discours présidentiel, op. Cit, p. 71
  6. 6.      12. Héritage de la liberté, op.cit. p. 71

13.Héritage de la liberté, op.cit. p. 73

  1. La Démocratie zaïroise et les Droits des Minorités

Citoyen Président-Fondateur.

Vous savez que des milliers, des centaines de milliers de nos compatriotes, civils ou militaires, ont, dans la lutte pour l’indépendance, payé de leur vie pour le triomphe de la démocratie et de la liberté. Nous pensons que nous n’avons pas le droit de trahir leur mémoire. Et à ce sujet, nous voulons encore soumettre à votre méditation cette autre réflexion, curieusement proche de votre authenticité :

« Il faut que le respect des morts soit un culte, et qu’on croie que les martyrs de la liberté sont les génies tutélaires du Peuple, et que l’immortalité attend ceux qui les imitent » (14).

  • La Démocratie zaïroise et les Droits des Minorités

Il est une chose sur laquelle tous les Zaïrois, peu importe leurs opinions politiques, sont incontestablement d’accord : c’est l’unité du pays dans ses frontières au 30 juin 1960. Mieux que tout autre propos, nous proposons à votre réflexion la pensée suivante :

« L’unité nationale ne vient pas de l’uniformité. Elle naît dès qu’on résout les querelles en appelant tous les Citoyens à l’élaboration d’une politique publique, et en donnant à cha­cun la possibilité de se faire entendre et de faire admettre, s’il le peut, son opinion » (15).

Citoyen Président-Fondateur,

En politicien chevronné, Vous savez certainement qu’il est impensable que les 25 millions de Zaïrois soient tous militants du MPR par conviction. L’obligation qui leur est faite d’être déjà à la naissance, membres du MPR, qu’ils le veuillent ou non, les font naître des esclaves et non des hommes libres. C’est déjà contre la volonté divine. Et c’est une violation du Manifeste de la N’Sele en même temps qu’une contradiction flagrante avec toutes vos déclarations constantes tant sur la démocratie que sur la liberté.

Or, nous pouvons Vous assurer qu’une portion non négligeable de notre population ne communie pas au MPR et a son droit. Et nous doutons fort que tous vos collaborateurs, compte tenu de la façon dont Vous les recrutez, soient tous plus convaincus que d’autres.

Par ailleurs, si Vous avez la conviction que la majorité des Zaïrois est acquise au MPR, ce que nous Vous concédons, autant alors gouverner avec la majorité et accepter de reconnaître à la minorité le droit d’exister, d’exprimer librement ses opinions et, surtout, le droit de jouir en toutes circonstances de la protection de l’État. Et Vous serez conforme à l’idéal démocratique dont Vous ne cessez de Vous réclamer. Tant que tel ne sera pas le cas, tous vos efforts resteront vains et la paix au Zaïre ne sera pas une véri­table paix des cœurs.

Les bons conseillers ne sont pas toujours des bons payeurs. Ceux qui contrecarrent vos désirs d’aller plus en avant dans la démocratisation effective de nos Institutions, et qui par le fait même font étouffer la voix non seulement de la minorité, mais de l’ensemble du Peuple zaïrois, auront des comptes à rendre à la Nation. Ils ne défendent que leurs privilèges et ce que leur apportent vos grâces.

Autrefois, Vous aviez dit qu’un seul homme ne savait pas tout voir. Aujourd’hui encore, les Mass Médias continuent à clamer non sans scrupules que « le Président-Fondateur n’est pas un magicien.  Seul, il ne peut rien […] » Vous sentez en effet, que l’appui du Peuple n’y est pas. Et cet appui ne Vous sera jamais acquis tant que Vous tiendrez à être « l’HOMME SEUL », à considérer les Zaïrois comme des moutons de panurge, et tant que Vous continuerez à penser qu’après les colonisateurs belges, et bien plus qu’eux, Vous pouvez réussir à faire la joie et le bonheur du Peuple malgré lui.

En effet, le Peuple zaïrois qui a payé cher le prix de la liberté et de la démocratie demeure profondément attaché à l’idée de son pays géré par des Institutions démocratiques. Et Saint-Just écrivait à ce sujet, pour votre mémoire :

« Les institutions sont la garantie du Gouvernement d’un Peuple libre contre la corruption des mœurs ; et la garantie du Peuple et du Citoyen contre la corruption du Gouvernement.

Les Institutions ont pour objet de mettre dans le Citoyen et dans les enfants même, une résistance légale et facile à l’injustice; de forcer les Magistrats et la jeunesse à la vertu; de donner le courage et la frugalité aux hommes;  de les rendre justes et sensibles,  de les lier par des rapports généreux; de mettre l’intérêt public à la place de tous les autres intérêts; d’étouffer les passions criminelles; de rendre la nature et l’innocence la passion de tous les cœurs, et de former une patrie.

Les Institutions sont la garantie de la liberté publique ; elles moralisent le Gouvernement et l’État civil ; elles répri­ment les jalousies, qui produisent les factions ; elles établissent la distinction délicate de la vérité et de l’hypocrisie, de l’innocence et du crime ; elles assoient le règne de la jus­tice.

Sans Institutions, la force d’une République repose ou sur le mérite des fragiles mortels ou sur des moyens précaires.

Les Institutions ont pour objet d’établir de fait toutes les garanties sociales et individuelles, pour éviter les discussions et les violences ; de substituer l’ascendant des mœurs à l’ascendant des hommes » (16).

Dire aujourd’hui et proclamer à la face du monde que cette conception de l’État et de ses Institutions n’est pas réalisable au Zaïre, c’est prêcher la théorie de la différence de nature, c’est manifestement emboîter le pas aux réactionnaires du beau vieux temps colonial qui soutenaient l’incapacité des Noirs d’assimiler, par exemple, les mathématiques ou les sciences abstraites.

Bien plus, cette thèse, que Vous avez défendue en Belgique est aussi une autre violation du Manifeste de la N’Sele et, permettez-nous de le dire tout haut, un acte flagrant de déviationnisme condamné du reste par notre Constitution. Oui, Vous nous direz que Vous étiez encore au-dessus de la Constitution.

  • Le Mobutisme face à l’État de Droit

Le Mobutisme signifie « les paroles, la pensée et les enseignements du Guide ». C’est la doctrine du Parti.

Jusqu’à présent encore, Vous laissez persister l’idée selon laquelle les paroles du Guide ont force de loi. La preuve en est qu’après votre discours du 4 février au Palais du Peuple, Vous avez amené le Conseil Législatif à valider les pouvoirs des suppléants des Commissaires du Peuple que Vous aviez appelé à d’autres fonctions, uniquement sur base de votre discours susmentionné, au mépris de la Loi. Et pourtant, le même jour et dans le même discours, Vous disiez que Vous Vous soumettiez aux Lois de votre pays. Cette conception de la doctrine du Parti expose le Mobutisme a beaucoup de critiques.

Si, comme Vous l’affirmez souvent, ce sont les Cadres qui sont la cause de ces contradictions – ce dont nous doutons – est-ce dif­ficile pour Vous d’y voir la flatterie, la courtisanerie et la démagogie ? À supposer que votre thèse soit vraie, faut-il alors penser que les Cadres mentent quand, à leur tour et en privé, ils soutiennent qu’ils n’y sont pour rien, qu’ils exécutent la volonté souveraine du Guide, lequel est hostile à tout raisonnement, à toute contradiction, fût-elle défendable et conforme à l’intérêt supérieur du pays ? Vou­loir insister, affirment-ils, c’est se mettre immédiatement dans la disgrâce et l’on sait ce que cela coûte !

Citoyen Président-Fondateur,

Il vous arrive d’improviser en public, souvent brillamment d’ail­leurs. Mais en votre qualité de politicien, Vous êtes obligé de tenir compte de la psychologie de la foule selon que Vous voulez lui enlever l’enthousiasme, Vous ne résistez pas à la démagogie dont la tentation est forte en ces circonstances. Vous pouvez aussi commettre des lapsus linguae et cela est déjà arrivé. Comment comprendre que ces propos puissent tous constituer l’arsenal de la doctrine du Parti sans aucun discernement ? Comment voulez-vous que tout ce que Vous dites ait force de loi ?

Par ailleurs, il est inadmissible que Vous continuiez à modifier par des discours les Lois et la Constitution. Terrorisés, les organes subordonnés n’ont plus de choix et sont obligés de reconnaître une force de loi aux propos du Président même s’ils lèsent l’intérêt général. Et ces propos sont applicables avant même la modification des textes légaux. Et l’on se donne bonne conscience en disant que « la Révolution marche plus vite que la modification des textes ».

Cette conception des choses débouche sur l’arbitraire. Et tant qu’elle persistera, l’État de droit prôné par le MPR ne sera pas pour demain. En outre, la confiance et la crédibilité dont le pays a tant besoin, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour réunir les moyens nécessaires à son développement, demeureront hypothétiques.

  • Justice et Sécurité

Nous préférons mentionner, parce que plus éloquent que tout autre propos, votre propre constat fait après 12 ans de pouvoir sans partage :

« Il est inadmissible que l’étranger ou le Citoyen zaïrois qui voit surgir l’ombre du Magistrat ou du Gendarme, se sente terrorisé plutôt que de se sentir sécurisé. Et trop souvent, bien des injustices sont commises à l’endroit des innocents tandis que les véritables coupables courent les rues librement et orgueilleusement » (17).

Et cette situation perdure. Les décisions de justice condamnant l’État ou les organismes étatiques en réparation des préjudices cau­sés aux particuliers, ne sont pas exécutées. Est-ce une bonne administration de la justice ? L’État n’est-il pas soumis à la règle de morale et de droit comme l’est tout individu ? Sinon, qui alors doit donner le bon exemple ?

Depuis tout un temps, aussi, sur le plan international, et sans raison, le Zaïre est sur la liste des pays qui ne respectent pas les droits humains. On nous reproche des jugements fantaisistes, le non-respect des procédures, la violation des droits des tiers, les atteintes à l’intégrité corporelle, les arrestations arbitraires, les conditions de détention inhumaines, et nous en passons.

2.4. De la Corruption

C’est un des griefs que Vous aviez formulés contre les dirigeants de la première République. Et qui, sans doute, avait plus pesé dans la balance pour justifier le coup d’État du 24 novembre 1965.

Nous ne cherchons pas à blanchir ces dirigeants politiques. Ils ont certainement leurs torts que les historiens ne manqueront pas de relever un jour. Tout ce dont nous nous souvenons est que l’Opposition à l’époque était si vigilante et si intransigeante qu’elle ne se contentait pas seulement de dénoncer, mais infligeait aussi des motions de censure de sorte qu’on pouvait considérer qu’une certaine moralité publique était sauvegardée.

Aujourd’hui, par contre, le moins que l’on puisse dire est que la corruption, la concussion, l’avidité, la cupidité et les détournements des deniers publics ont atteint leur point culminant. On pourrait même dire qu’ils sont institutionnalisés. Jamais le pays n’a été aussi pillé et le Peuple aussi exploité. De temps en temps, la Presse étrangère, scandalisée, finit par donner des détails troublants. En dépit des secrets bancaires et de la censure de la Presse, le commun des mortels sait que les actuels dirigeants politiques comptent parmi les plus grands riches du monde. Cette Presse révèle que si les dirigeants zaïrois pouvaient seulement rapatrier, le quart de leurs fabuleuses richesses, les dettes extérieures du Zaïre et le déficit budgétaire seraient immédiatement résorbés.

  • Le Pouvoir à Vie

Un autre reproche formulé contre les dirigeants politiques de la 1ère République, et qui avait pesé dans la balance de la déci­sion du coup d’État, était que : « Certains Politiciens, pour se maintenir au pouvoir, n’ont pas hésité à faire appel à des puissances étrangères. Ils se sont déclarés prêts à vendre le pays et le Peuple congolais à la condition expresse qu’ils soient aidés à se maintenir ou à reprendre le pouvoir. Pour satisfaire leurs ambitions, ils étaient sur le point de sacrifier notre souveraineté et notre bonheur de Peuple libre ».

C’était selon Vous « une double menace contre le pays, menace intérieure et menace extérieure » (18).

Douze ans plus tard, Vous leviez l’équivoque en précisant : « D’aucuns auraient compris que je suis devenu par-là, Président à vie. Moi qui prêche la démocratie, je dois être le premier à m’y soumettre » (19).

Restant dans la même logique, Vous insistiez sur ce point en déclarant : « Primo, je voudrais surtout lever toute équivoque. Je ne veux pas aller à l’encontre de la volonté du Peuple. Il peut éventuellement me retirer sa confiance. Secundo, je pense qu’il est important pour un responsable politique de savoir qu’il a un mandat et que ce mandat a un terme » (20).

Citoyen Président-Fondateur,

Nous notons, venant de Vous-même que non seulement Vous êtes démocrate mais que le Peuple, attaché à la démocratie, est opposé à toute conception de Présidence à vie.

Ces prémisses étant posées, Vous devriez en tirer toutes les conséquences et conformer vos actes à la philosophie du MPR telle qu’elle se dégage du Manifeste de la N’Sele. Institutionnaliser le MPR et en faire l’Institution unique en reléguant les Institutions classiques et démocratiques du pays au rang des organes qui lui sont subordonnés, ne constitue-t-il pas une déviation par rapport à la philosophie du Manifeste de la N’Sele et une négation de la volonté du Peuple ?

Quand nous examinons la structure actuelle du MPR, il est honnêtement impossible de ne pas Vous attribuer l’envie d’une Présidence à vie ou tout au moins, celle d’une sorte de pouvoir héré­ditaire.

Prenons seulement votre statut personnel. Tantôt, Vous êtes au-dessus de la Constitution, et par ricochet, Maître absolu dispo­sant des pouvoirs illimités de faire et défaire les Institutions et les hommes, tantôt Vous renoncez à ces pleins pouvoirs pour Vous soumettre à la Constitution mais en conservant toutefois la Prési­dence du MPR, du Congrès, du Bureau Politique, du Conseil Exé­cutif, du Conseil Judiciaire et, par délégation, celle du Conseil Législatif. Avec tout cela, êtes-vous toujours démocrate ?

Avec la récente restructuration du MPR, et reprenant de la main droite ce qui a été cédé de la main gauche, Vous devenez « HOMME ORGANE » ou mieux « Organe Central des décisions », donc au-dessus de tous les autres organes du Parti avec les pou­voirs de décision qui sont certainement plus étendus, voir plus dangereux du fait de la primauté du Parti sur l’État. Ceux des pouvoirs, et nous nous demandons lesquels, que Vous avez estimé ne pas pouvoir exercer directement, Vous les avez cédés au Comité Central. Mais le Président du Comité Central, c’est Vous-même. Les Membres composant ce Comité dont l’une des attri­butions est de désigner le Candidat Président de la République, sont nommés et révoqués par Vous. Avant d’entrer en fonction, ils sont tenus de prêter un serment de fidélité non pas au Parti, non pas à la Constitution, mais à votre Auguste personne.

Au sein de ce Comité Central, Vous avez institué une Commission de Discipline dont Vous serez certainement le Président ou à tout le moins, où Vous serez représenté comme tel par un homme de main. Cette Commission nous fait penser à une espèce d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les Cadres, à tous les niveaux dont la fidélité au Guide serait jugée douteuse. Mais, en fonction de quel règlement connu sanctionnerait-on les Cadres dont la fidélité au Guide serait douteuse sans verser dans la violation des libertés et dans l’arbitraire ?

A l’étage immédiatement inférieur, c’est le Comité Exécutif avec son impressionnant appareillage des Secrétaires Généraux, Nationaux, Régionaux, Sous-Régionaux, de Zones, de Collectivités, de Localités, de Cellules. Exactement la remise en force d’une structure qui s’était révélé inefficace, confusionniste, et inutilement budgétivore que Vous aviez supprimée le 4 février dernier. Vient ensuite le Bureau Politique dont les nouveaux pouvoirs consistent à Vous assister de manière permanente dans la gestion courante du pays et du Parti et aussi à veiller à l’exécution des décisions prises par tous les organes du Parti et de l’État. Les Membres du Bureau Politique, nouvelle formule, ne seront plus, en partie, élus au suf­frage universel. Ils seront tous nommés et révoqués par Vous. Bien entendu, ils n’échappent pas au serment de fidélité à votre Auguste personne. Il en va de même des Gouverneurs, des Commissaires Sous-Régionaux, et ainsi de suite jusqu’à la Cellule. C’est donc ce bataillon de Cadres, avec leurs administrations respectives, sans oublier les brigades d’animation et celles des masses que la JMPR aura à encadrer, qui constitueront désormais ce que, au Zaïre, on va considérer comme « Forces vives de la Nation ». Et ce sont ces forces vives de la Nation qui constitueront chaque fois la grosse majorité des Mem­bres des Congrès du MPR où se prennent les décisions d’une importance vitale pour le pays.

Citoyen Président-Fondateur,

Avec une telle structure, ou du fait de la dégradation constante du pouvoir d’achat accentué par l’aggravation d’un double chô­mage (structurel et conjoncturel), chacun des Membres cherchera naturellement à gagner votre sympathie pour être certain de continuer à survivre. Comment voulez-Vous faire croire que Vous n’aimez pas la PRÉSIDENCE À VIE ?

Comment parler de démocratie et de liberté dans un système monolithique où les hommes qui participent à la décision sont nommés par Vous et liés par un serment de fidélité à votre personne ? N’apparaît-il pas clairement que votre détermination est de « confisquer » le pouvoir à jamais ? Sinon, par quelle voie le Peu­ple, qui n’aime pas la Présidence à vie, comme Vous l’avez dit Vous-même, peut prétendre Vous retirer sa confiance ?

  • Des Cumuls de Fonctions

Lors de la réunion du Bureau Politique tenue le lundi 11 août 1980, un nouvel organe du Parti a été créé : LE COMITÉ EXÉCU­TIF DU MPR. Désormais, le Zaïre comptera deux Exécutifs : l’un du Parti et l’autre du Gouvernement. Déjà Président du Conseil Exécutif du Gouvernement, Vous ne pouvez être moins que cela au Comité Exécutif du Parti. En résumé, Vous êtes Chef de l’État, Président-Fondateur du MPR, Président du Congrès, Homme organe, Président du Comité Central, Président du Comité Exécutif du Parti, Président du Bureau Politique, Président du Con­seil Législatif par délégation, et nous en passons.

Ne pensez-Vous pas que c’est à la fois trop de charges et trop de pouvoirs pour un seul homme ? Or, ce cumul de fonctions et de pouvoirs, Vous veniez de le supprimer le 4 février 1980. N’ajoutiez-vous pas ce jour-là au Palais du Peuple que, en tant que Citoyen et tenu à donner le premier le bon exemple, Vous Vous remettiez sous l’empire des lois de la République ? Six mois à peine plus tard, Vous réinstituez le cumul en occupant la Présidence de tous les organes sans plus tenir compte de votre dis­cours du 4 février dernier ? A supposer que Vous aviez oublié, ce qui n’est pas impossible, qui des Cadres peut oser Vous le rappeler étant donné qu’ils aspirent tous à cumuler comme Vous-même aux fins que Vous devinez ? Pourtant, la devise du MPR n’est-elle pas « SERVIR et non se SERVIR ». 

Citoyen Président-Fondateur,

Avec tout ce qui précède, la nouvelle politique du MPR (et non celle définie dans le Manifeste) ne fait plus de doute quant au prochain rendez-vous électoral de 1982, si l’on y arrive. Un quotidien de la place, journal du Parti en l’occurrence, n’en annonçait-il pas déjà les couleurs lorsqu’il écrivait en substance qu’en 1982, le Parti doit se charger du choix des candidats « Parlementaires », sous­-entendant par là non l’élection libre mais la désignation de ces derniers et le droit de pouvoir contrôler les consciences.

  • Vers l’étouffement effectif de la Voix du Peuple ?

Mais, quelles seront les prérogatives réelles du Conseil Législatif de 1982 quand on pense qu’avec la récente restructuration, il est non seulement relégué à la 5èmeou 6ème position dans la hiérarchie des Organes; mais qu’en plus, une de ses prérogatives essentielles, celle dont l’exercice le rendait plus ou moins crédible aux yeux du Peuple vient d’être attribuée au Bureau Politique ? Que cette prérogative s’appelle « Inspection » ou qu’elle se nomme « Contrôle », c’est le contenu qui importera et non l’étiquette. Du reste, comment le Conseil Législatif de 1982 pourra-t-il prétendre contrôler un service où le Bureau Politique, organe supérieur, aura déjà effectué son inspection ?

Citoyen Président-Fondateur,

Votre analyse de 1977 constatait qu’une des causes du mal zaïrois résultait du fait que la Voix du Peuple était étouffée et qu’elle risquait de se faire entendre trop tard. C’est pour cela que Vous aviez institué les réformes de 1977 en instaurant les élections législatives libres. C’est pour cela aussi que Vous avez fait un effort de placer le Conseil Législatif en 3ème position dans la hiérarchie des Organes.

Or, dans la restructuration actuelle du Parti, le seul Organe dont les Membres sont les élus du peuple est reculé en 4ème, 5ème ou 6ème posi­tion. Le centre des grandes décisions et orientations est devenu l’apanage des Comités ou Conseils composés des personnes nommées. Est-ce un recul ou un progrès par rapport à la situation de 1977 ? Le mal zaïrois a-t-il brusquement disparu ? Croyez-vous que le Peuple zaïrois dont l’attachement à la démocratie est reconnu par Vous-même, puisse se sentir légitimement lié par des décisions prises par des personnes dont il sait très bien qu’elles défendent seulement leur beefsteak et qu’elles n’ont pas de compte à lui rendre.

  • Le Management dans l’Appareil de l’Etat et I’Equilibre des Finances Publiques

Sans anticiper sur le chapitre des Finances Publiques et de la Monnaie, rappelons toutefois qu’un des axes du PLAN MOBUTU est le « Management dans l’Appareil de l’État », la remise en ordre de la gestion des Finances Publiques pour enfin aboutir par un effort d’austérité, à l’équilibre du Budget de l’État. Le phénomène engendré par le conclave du Bureau Politique et qui consiste dans la multiplication de ceux-ci avec, cela va de soi, l’apparition immédiate des administrations parallèles, aura pour conséquence immédiate un accroissement considérable des dépenses publiques.

Comment expliquer qu’un pays en état de banqueroute non déclarée, et qui sillonne le monde en quête d’un montant de 350.000.000 de dollars américains (TROIS CENT CINQUANTE MILLIONS) pour payer non pas le principal de sa dette qui s’élèverait à près de cinq milliards de dollars américains, mais seulement les intérêts de retard; un pays dont le budget est chroniquement défici­taire; un pays où les gens gagnent un salaire de famine; où le pouvoir d’achat ne fait que se dégrader chaque jour; où en dépit de cette inflation, les salaires sont bloqués; comment donc expliquer que ce pays puisse se payer le luxe non seulement de multiplier ses Institutions politiques, mais encore de le faire en plein exercice budgétaire ?

  1. Economie

Votre profession de foi du 24 novembre 1965 et, surtout votre discours-programme du 12 décembre 1965 ont, sur ce point été des plus sévères.

Ils ont stigmatisé sept grands problèmes ou maladies dont l’exis­tence et la persistance rendaient, selon vos propres termes, « la situation sociale, économique et financière du pays catastrophique. Ces maladies étaient :

  1. Une Administration Publique corrompue, inerte et inefficace ;
  2. Une Justice Sociale déplorable ;
  3. Une Production Nationale insuffisante pour couvrir les besoins alimentaires de notre population et surtout, ses besoins en ali­mentation ;
  4. Une Aide Extérieure qui mettait le pays en position de mendiant ;
  5. Un Budget de l’État déséquilibré et déficitaire ;
  6. Une Inflation galopante, entraînant la dégradation, constante ­du niveau de vie de la population et de notre monnaie nationale ;
  7. Une Menace permanente à notre indépendance économique du fait que les politiciens n’avaient pas « hésité à vendre notre ­pays ».

Après un exercice de quinze ans de pouvoir personnel, pouvez-Vous affirmer que ce pays que Vous traitiez de « grand malade » se trouve aujourd’hui dans un meilleur état de santé ?

Autrement dit, avez-Vous réussi à endiguer les maladies que Vous stigmatisiez en 1965 et permis, par voie de conséquence, à notre Peuple de vivre comme des êtres humains, dignes de ce nom ?

Responsables devant le Monde, devant notre Peuple et devant l’Histoire, nous sommes dans l’obligation d’examiner avec Vous, l’un après l’autre, chacun des problèmes exposés ci-haut. Ce qui Vous permettra d’apprécier le bienfait réalisé ou les dégâts que votre règne de quinze ans a fait subir à notre pays.

3.1.  Une Administration corrompue, Inerte et Inefficace

Grâce à votre vigilance, Citoyen Président-Fondateur, nous apprenions par votre discours : « Je vous ai déjà signalé que l’Admi­nistration publique tant nationale que provinciale est corrompue et déficiente ».

Dans votre discours du 25 novembre 1977, la même idée revient lorsque Vous dénonciez : « Ces Gouvernants qui, à travers des liens particuliers, de famille ou d’amitié » encouragent « les vols des deniers et des biens publics ».

En fait, Vous avouiez que ces voleurs opéraient avec votre bénédiction tacite puisqu’ils restent impunis.

Les observateurs et chercheurs indépendants, nationaux comme étrangers, affirment sans ambages et le prouvent avec pertinence, que « le phénomène de corruption a pris une forme véritablement institutionnalisée » et se manifeste sous les formes diverses dont les principales sont : le trafic de correspondance, le trafic d’embauche, le trafic de sceau et papiers à en-têtes, le trafic d’audience, la tra­fic de recommandation, l’opération suivie, le trafic d’ordre de mis­sion, le trafic de mécanisation, etc. de sorte que « les réseaux de corruption touchent tous les niveaux de l’Administration depuis l’huissier, le commis auxiliaire jusqu’aux grades les plus élevés de la hiérarchie » (21).

Citoyen Président-Fondateur,

Daignez conclure avec nous qu’il y a ici un constat d’échec indiscutable.

3.2. Une Justice sociale déplorable

Au cours du discours précité et après avoir déploré la corruption, Vous poursuiviez : « J’ajoute que la justice est rendue de façon déplorable ».

Qu’en est-il aujourd’hui après avoir perspicacement et candidement déclaré (25 novembre 1977) : « Et malheureusement, dans leur course effrénée vers la gabegie et le détournement, dans leur incompétence, trop de Cadres se cachent volontiers derrière le Président-Fondateur pour se créer, pour ainsi dire une immunité juridique et politique abusive (c’est nous qui soulignons).

Parapluie ou parachute, Citoyen Président-Fondateur, Vous disposez « seul » du pouvoir de nommer, révoquer, promouvoir les Membres de la classe dirigeante (22) zaïroise et de ce fait devez logiquement endosser les actes de vos protégés que vous avez bien reconnu être les pilleurs et exploiteurs de notre Peuple. Ici comme là-bas, le paradis juridique que Vous aviez promis au Peuple le 12 décembre 1965 ne s’est pas matérialisé, hélas !

La stratification sociale à laquelle ces pratiques abusives – consé­quence d’un pouvoir personnalisé – ont conduit, a créé au sein de notre Peuple des tendances entraînant des divisions extrêmement explosives pour l’avenir de ce pays. Acceptez, Citoyen Président-Fondateur, puisque Vous en êtes l’auteur, d’en endosser la responsabilité.

3.3. Une Production Nationale Insuffisante

C’est au cours du discours-programme du 12 décembre 1965 que Vous aviez affirmé : « On ne produit plus au Congo ». Pour appuyer votre thèse, quelques données statistiques relatives à la production alimentaire Vous ont servi et nous les reprenons ici sous forme d’un tableau, pour Vous permettre de mieux faire le point. Les données officielles les plus récentes sont aussi reprises :  

Le Produit  Avant l’indépendance  En 1965En 197723
Maïs (tonnes) Riz Manioc Coton-graine Export huile de palme   Recettes en devises (Z) (b) Population (b)  120.000 100.000 1.500.000 143.000 165.000   25.000.000 13.120.000 (57)  50.000 20.000 900.000 15.000 85.000   17.000.000 17.570.000130.000 127.000 700.000 10.000(a) 11.995   -72.700.000 26.310.000

(a) : La fibre du coton

(b) : Bulletin Financier du Fonds Monétaire International – mai 1980.

Si l’on peut en croire les statistiques officielles, quelques progrès ont été marqués entre 1965, année de votre prise de pouvoir, et l’année 1977. Par exemple, la production de maïs a plus que doublé, celle du riz a été multipliée par six. Par Contre, la produc­tion du manioc a connu une baisse de 22 %, celle de coton une baisse de 33 % tandis que les exportations de l’huile de palme ont baissé de 86 %. Ces pourcentages sont bruts,

Mais, si nous les considérons en rapport avec l’évolution de notre population, la situation est dramatique. En effet, en 1965, un Zaïrois produisait 3 kilos de maïs, 1 kilo de riz, 51 kilos de manioc, jusqu’à 1 kilo de coton et exportait 5 kilos d’huile de palme. En 1977, ce même Zaïrois produit 5 kilos de maïs (+ 6%), 5 kilos de riz (400%), 27 kilos de manioc (-47 %), 0,4 kilos de coton (-56 %) et n’exporte que 0,5 kilos d’huile de palme (-90 %).

Quant aux recettes en devises, Citoyen Président-Fondateur, la situation se passe de tout commentaire. Le Zaïre, notre pays connaît une véritable déconfiture, comme le démontre la sixième ligne du tableau ci-dessus.

Une telle situation a débouché sur une catastrophe sociale que l’autorité zaïroise a d’abord niée, mais que la Presse nationale vient de reconnaître sans vergogne : « 42 % des enfants zaïrois souffrent de malnutrition » (24).

Bien plus, il faut remarquer qu’en 1968, la part des exportations agricoles dans nos exportations totales était de 30 %. Cette même part n’est plus que de 13 % en 1977 (Banque du Zaïre) soit une baisse de 57 %.

Selon les prévisions établies par les experts « LAZARD Frères », cette situation s’annonce encore pire. En effet, pour les années 1979, 1980 et 1981, cette part des exportations agricoles sera respectivement de 11,1 %, 10,7 % et 10,04 %, soit une baisse de ± 90 % et cela dans l’hypothèse la plus favorable (25).

Cette situation est due en partie, à une très mauvaise détermi­nation de nos priorités de développement. En fait, le Zaïre qui avait une structure des exportations assez diversifiée à la veille de 1960 a, sous votre Haut-Commandement, décidé de concentrer tous les efforts dans le secteur minier.

Si, en 1968, la part des produits miniers dans nos exportations n’était que de 52 % du total, elle est de 84 % en 1977. Par contre, à l’instar des produits agricoles, la part des produits industriels qui s’élevait à 18 % en 1968 n’est plus que de 3 % soit une diminution de 83 %. Et dire qu’en 1965, Vous promettiez au Peuple une industrialisation rapide et son indépendance du ventre grâce au fameux « Retroussons les manches ».

Ne s’établit-il pas une relation directe entre cette politique éco­nomique erronée et la déconfiture économico-sociale de notre « modèle de société » ?

En effet, un accent trop élevé mis sur les exportations minières et la négligence de la production agricole et industrielle nous ont mis dans ce qu’un militant de notre indépendance appelait « cage ».

Nous sommes obligés d’importer le maïs (139 862 tonnes en 1978 contre rien 1950), du riz (25.000 tonnes en 1978 contre 10.114 tonnes en 1975) ; du sucre (82.000 tonnes en 1978 contre 9.345 tonnes en 1975) ; du froment (192.000 tonnes en 1978 contre 94.562 tonnes en 1975) !

Dans la Ville de Kinshasa, affirment les experts, « on substitue le froment importé au manioc » (26). Où est l’indépendance du ventre, Citoyen Président-Fondateur ?

Nous saisissons cette occasion pour démystifier certains rapports officiels qui parlent d’une reprise économique du Zaïre pour l’année 1980-1981.

En effet, la publication du Département de l’Économie Nationale affirme qu’en 1980, le Produit Intérieur Brut du Zaïre connaîtra un taux positif de 1,5 % après deux chutes successives de 2 % en 1978 et de 1 % en 1979 (27).

Cette augmentation sera due à l’accroissement de la production minière et plus particulièrement le cobalt, le cuivre et le pétrole qui connaîtront chacun un taux de croissance de près de 10%.

Par contre, le secteur agricole connaîtra une baisse de 9 % dans ses exportations. L’on continuera à importer du maïs et du blé ; le secteur de transport continuera sa détérioration (elle était de 11,4 % entre 1978 et 1979). L’industrie manufacturière ne sortira pas du tunnel (une diminution de la produc­tion de 11,1% en 1978-1979) et connaîtra la poursuite de son chô­mage technologique (près de 30 % de sa capacité).

Il n’est pas donc adéquat, Citoyen Président-Fondateur, de leur­rer notre population en lui présentant ou promettant le commencement de la fin de ses misères. La situation de la production nationale est une véritable catastrophe.

Nous portons à votre connaissance, Citoyen Président-Fondateur, que le prix du cuivre sur le marché mondial va connaître une chute importante. La demande du métal rouge, selon les experts, connaîtra une baisse de 18 % au deuxième semestre de 1980 et continuera à dégringoler en 1981(28). Il risque d’en être de même du cobalt qui, selon la Conjoncture Économique permettra au Zaïre d’enregistrer une balance des paiements positive en 1980.

En bref, l’échec du programme de production que Vous aviez présenté à la population en 1965 va continuer à s’accentuer.

3.4. Une Aide Extérieure de tutelle

Voici les termes dans lesquels Vous dénonciez en 1965 l’aide extérieure : « Le pays est obligé de mendier une aide à l’Extérieur. Ce sont les étrangers qui doivent procurer aux Congolais le maïs et le riz dont ils ont besoin pour se nourrir et le coton dont ils ont besoin pour se vêtir. Le Congo ne peut plus nourrir et vêtir ses propres fils » (29).

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Sur le plan du montant de la dette extérieure, celle-ci est esti­mée à 5 milliards de dollars américains dont la Banque du Zaïre, selon une source indépendante, « aurait liquidé 57 millions à la mi-mai de cette année » auprès du « Club de Paris » qui regroupe 122 Banques Internationales privées, créancières de notre pays. À cet égard, les experts du groupe LAZARD Frères estiment que le service de la dette extérieure atteindrait respectivement 27 %, 27% et 25 % en 1979, 1980 et 1981 de l’ensemble des ressources d’exportation, non compris les arriérés dont le montant s’élève à plus d’un milliard de dollars américains (30). Peut-on vendre mieux un pays qu’aux Banques Internationales ?

Et pourtant, l’un des reproches que Vous adressiez aux politi­ciens de la 1ère République était que « certains politiciens, pour se maintenir ou pour reprendre le pouvoir, n’ont pas hésité à faire appel à des puissances étrangères. Ils se sont déclarés prêts à vendre le pays et le Peuple congolais à la condition expresse qu’ils soient aidés à se maintenir ou à reprendre le pouvoir. Pour satis­faire leurs ambitions, ils étaient sur le point de sacrifier notre indé­pendance, notre souveraineté et notre bonheur de Peuple libre » (31).

Nul ne peut mieux Vous répondre qu’un grand journaliste et écrivain français Jean-Jacques Servan-Schreiber lorsque, parlant du Zaïre et après avoir évoqué d’autres rencontres antérieures, écrit : « Une troisième réunion a lieu dans l’appartement même de Mobutu, Avenue Foch à Paris. Les créanciers du Zaïre décident, avec lui, que la mise sous tutelle complète du système financier zaïrois sera le prix à payer pour de nouvelles attributions d’aide. Un délégué du FMI (Fonds Monétaire International) prendra les fonctions de Directeur Principal de la Banque Centrale du Zaïre. Il n’y a guère d’exemple, depuis la fin des guerres coloniales, d’un État abandonnant ainsi jusqu’à l’apparence de souveraineté.  Mais il (Mobutu) n’a plus de choix » (32).

C’est ainsi que, après l’affaire OTRAG, notre Département des Finances, notre Banque Nationale… sont sous tutelle des experts recrutés par le Fonds Monétaire International (33).

Bien plus, dans l’Introduction au Budget 1980-1981, le Conseil Exécutif affirme avoir opéré des dévaluations successives de notre monnaie pour répondre aux « exigences » du Fonds Monétaire International (Document sur « Exécution du Budget 1980 »).

Certes, Vous Vous défendrez en évoquant le droit d’user de votre souveraineté. Mais Citoyen Président-Fondateur, peut-on vendre une parcelle ou la totalité de sa souveraineté et prétendre en posséder toujours ? N’est-ce pas ce que les Anglophones ironisent comme « vouloir en même temps manger son gâteau et le garder intact ? »  (Eat one’s cake and have it at the same time).

Que pensez-vous, Citoyen Président-Fondateur, de notre dépen­dance remarquable vis-à-vis des pays étrangers et organismes internationaux pour nourrir notre population, la vêtir, la loger, assurer la commu­nication entre elle, l’éduquer, etc.

N’y a-t-il pas, dans ce domaine comme dans les trois précédents, un constat d’échec de votre régime de 1965 ?

14 Saint-Just : L’Esprit de la Révolution, Ed. Le Monde en 10/18, p.170

15 Héritage de la liberté, op.cit., p.71

16 Saint-Just : De l’Esprit de la Révolution, Ed. Le monde en 10/18, p.131

17 Discours présidentiel du 25.11.1977, Ed. IMK, p.15 et 16

18 Discours-Programme du 12.12.1965, Disc. Alloc et Mess., 1965-75, Ed. J.A, Paris, Tome 1, p. 21

19 Discours présidentiel du 1.7.1977

20 Discours présidentiel du 25.11.1977, Ed. IMK, p.15

21 Voir Info Zaïre, Bruxelles, 4ème année, n° 6, septembre 1979, p. 12 et suivantes

22 Le Dossier de la DCWB, Bruxelles, p. 7

23 Source : Rapport de la Banque du Zaïre 1977 – 1978.

24 Journal ELIMA du 30 septembre 1980 page2

25 Présentation faite par le Commissaire d’État Bofossa au Club de Paris le 29.11.1979.  Annexe 1 : Republic of Zaire balance of payments Projection for 1980-1985 and Analysis of External Resources GAP, Oct., p.6, Tab.4.

26 Dossier de la DCWB, op.cit. p.20

Cité dans l’Echo de la Bourse du 19/21 septembre 1980, p.27

28 Voir Newsweek du 27 octobre 198 270, p.58

29 Discours-Programme du 12 décembre 1965, p.22

30 Présentation faite par le Commissaire d’État Bofossa, op. Cit, Annexe II : Comments on the Structure of the External Debt.

31 Votre Discours programme du 12 décembre 1965, p.22.

32 Jean -Jacques SERVAN-SHCREIBER dans le livre « Le Défi Mondial », p. 233, Ed. Fayard, 1980.

33 Nous apprenons à l’instant même que le FMI va retirer ces experts parce qu’ils auraient conclu à l’incurie du mal dont souffre le « Zaïre ».  Le Gouvernement zaïrois devra annoncer la nouvelle pour se donner une figure de « souverain ».

3.5. Un budget de l’État déséquilibré et déficitaire

Au cours du discours-programme de décembre 1965, Vous disiez : « L’État dépense trop, n’est pas productif. Cette situation devient intolérable » (p. 24). Et Vous enchaîniez : « Pendant l’année 1965, et jusqu’au moment où j’ai pris en mains les destinées du pays, le Gouvernement a dépensé 55 mil­liards de francs » (35). « Il n’a eu que 35 milliards de francs de recettes et accusait donc un déficit de 20 milliards de francs » (36). (Discours programme du 12/12/1965, p. 23).

Vous vous posiez alors la question : Qu’a-t-on fait avec tout cet argent dépensé ?

Aujourd’hui, quinze ans après votre prise de pouvoir, les mêmes ques­tions se posent. Voyons ce que nous en dit la situation de nos Finances Publiques.

3.6.  Productivité de l’État

Entre 1970 et 1977, les dépenses de l’État destinées à l’acquisition des biens de capital et donc de production passent de 76,1% de dépenses en capital du budget à 47,7%, soit une diminution de 37 %. Pour la même période, les dépenses publiques créatrices d’acti­vités économiques passent de 325 millions à 319,7 millions, soit une diminution de 2 % en termes nominaux (37).

De même, l’épargne de l’État passe de 61,1 millions (de 1970 à 1971) à 70,1 millions en 1977, soit une augmentation de 15 %. Mais, en 1977, cette épargne représente 68 % des ressources de l’État contre 65 % en 1971, soit un effort supplémentaire de l’Autorité Publique pour relancer l’Économie (38).

Pourtant, cette augmentation de l’effort d’épargne se réconcilie difficilement avec une diminution de la participation de l’État à l’activité économique relevée au paragraphe précédent !

Est-ce que l’épargne de l’État sert à alimenter la corruption que nous avons évoquée plus haut ou est-ce qu’elle sert à grossir les dépenses de prestige idéologique destinées à faire accepter ou à imposer la faim à la population au nom de l’authenticité ?

Comment réconcilier cet effort avec le recours sans cesse à l’extérieur pour « décrocher le financement des projets » ?

3.7. Le déficit des Finances Publiques

Cette rubrique de votre discours du 12 décembre 1965 est actuellement plus vraie que jamais. Si, pour les 11 premiers mois de 1965, l ‘État n’avait dépensé que 55 millions de Zaïres, le Conseil Exécutif dont Vous assumez la Présidence a déjà dépensé 2.743.895.000 Zaïres pour les huit premiers mois de 1980 (39).

De l’autre côté, si pour les 11 mois de l’année 1965, le déficit n’était que de 20 millions de Zaïres, il est de 375.459.477 Zaïres pour les huit premiers mois de 1980 pour votre Conseil Exécutif. Où est la situation la plus alarmante ?

Ce qu’on fait de l’argent.

La question que Vous posiez, Citoyen Président-Fondateur, était légitime. La population a besoin de savoir ce qu’on fait de ses res­sources.

Vous aviez en 1965, stigmatisé quelques facteurs explicatifs du déficit de l’État : « Frais de mission, Enseignement, Administrations provinciales, Armée, etc. »

Où en est-on maintenant ?

En 1977, Vous avez été considéré par le journal Jeune Afrique comme le Chef de l’État au monde ayant accompli le plus de dépla­cements (missions) à l’extérieur de son pays. Aujourd’hui, les mis­sions officielles sont effectuées même par des personnes qui n’ont rien à faire avec la Fonction Publique grâce à ce que certains experts appellent « trafic de missions.» Ces missions sont aussi effectuées par des gens dont la seule qualité est d’être vos proches ou connaissances !

Que fait-on de l’argent ?

La Dotation Présidentielle a absorbé 90.705.059 Zaïres en 1976 (soit 20 % du Budget) et 97.999.934 Zaïres en 1977 (soit 17 % du Budget). Il est vrai qu’une dotation n’est pas soumise à la règle habituelle de con­trôle, mais le Président-Fondateur peut-il nous autoriser quand même de poser la question : Qu’a-t-on fait de cet argent ?

En tout état de cause, une chose est vraie, la Dotation Présidentielle est presque deux fois le Budget de tout l’État zaïrois en 1965, l ‘année de votre prise de pouvoir.

Que fait-on de cet argent ?

Citoyen Président-Fondateur, Vous aviez, au cours de vos discours en 1966, assuré la population que Vous ne toucheriez que votre traitement de soldat. Peut-on savoir si la situation reste la même ? Sinon, combien touchez-Vous en 1980 et quelle part du Budget votre salaire représente-t-il ?

Que fait-on de cet argent ?

Dans le document relatif à l’exécution du Budget 1980, le Conseil Exécutif donne une série de dépenses qu’il qualifie d’imprévues :

– Fêtes commémoratives du 30 juin                 :           Z.         5.831.023

– Visite du Pape Jean-Paul Il                           :            Z.       26.055.361      

– Supplément Dotation Présidentielle               :           Z.       13.623.817      

– Rappels et déblocage                                   :             Z.       71.000.000

– Echelonnement enseignants                           :           Z.       19.200.000

– Acquisition 51 voitures Mercedes                 :           Z.         3.000.000

  1. 191.310.201

Ces dépenses imprévues s’élèvent à plus de trois fois les Dépen­ses de l’État pour les 11 premiers mois de l’année 1965 quand Vous avez pris le pouvoir (avec l’objectif de réduire le déficit de dépenses publiques).

Or, en dépit de ce déficit et d’une situation considérée comme intolérable en 1965, n’aviez-vous pas prétendu relever le pays avec ses propres ressources ?  Est-ce qu’on peut en dire autant aujourd’hui ?

Qui contrôle toutes ces Dépenses de l’État zaïrois en l’absence de la Cour des Comptes que Vous aviez pris soin de supprimer dès le bon matin de votre prise de pouvoir ?

Citoyen Président-Fondateur, savez-Vous qu’entre 1970 et 1977, près de 45% des Dépenses Publiques ont servi aux objectifs idéo­logiques, c’est-à-dire pour se « maintenir au pouvoir » (40). Notre peuple se nourrit-il seulement de ces slogans idéologiques monolithiques ou aura-t-il jamais la chance de vivre un jour comme un Peuple libre ?

Que fait-on de l’argent ?

3.8. Une inflation galopante

Le diagnostic que Vous posiez en 1965 est : « Au Congo, on ne produit que 30 % de ce que l’on produisait en 1960, mais, en revanche, on dépense six fois plus qu’en 1960. Beaucoup d’argent à dépenser, peu de produits à acheter, voilà la situation actuelle provoquée par le déficit des Finances Publiques ».

Et Vous en tiriez les conséquences : « Conséquence inévitable, les prix se sont mis à mon­ter, les marchandises sont devenues rares, des commerçants ont commencé à spéculer, des producteurs se sont mis à frauder et voilà comment le chaos économique s’est installé au Congo » (41).

Où en est-on aujourd’hui ?

En un mot, le chaos est total et pire qu’en 1965 malgré les ten­tatives avortées de le couvrir par des déclarations apologétiques et des plans et programmes économiques qui ont tous abouti à l’échec que nous connaissons tous.

La rareté des marchandises ou des biens de consommation est plus qu’impressionnante dans beaucoup si pas dans tous les ména­ges de Kinshasa, hormis bien entendu le Vôtre et ceux de Vos courtisans. La situation est pire encore à l’intérieur du pays où des opérations monétaires irréfléchies et intempestives ont mis les populations dans un état de dénuement incomparable.

À la base, 1975 = 100, le niveau des prix était de 1.138,7 en décembre 1979 ; soit une augmentation de 1.034 % en qua­tre ans !

Les conséquences ne se sont pas fait attendre. La malnutrition due à l’enchérissement des produits de base a engendré la recrudescence de certaines maladies autrefois entièrement ou partiellement enrayées : pellagre, kwashiorkor, tuberculose, fièvre typhoïde, rougeole, malaria, verminoses, bilharziose, maladie du sommeil, poliomyélite, etc.

Et malgré, cette situation, Citoyen Président-Fondateur, tel un pèlerin, Vous multipliez des voyages à l’extérieur d’une manière tout aussi innocente qu’infructueuse ! À tel point qu’on en vient à se demander si Vous avez vraiment l’amour de ce pays et de son Peuple !

Le chaos économique est total au Zaïre parce que malgré votre promesse de ne jamais dévaluer la monnaie nationale, Vous avez pris l’agréable plaisir de dévaluer jusqu’à ruiner nos populations dont Vous avez de nouveau confisqué le pouvoir d’achat par la démonétisation. Cette dernière a été décidée unilatéralement et d’autorité par Vous et seulement par Vous !

Le chaos est total parce que Vous aviez promis au Peuple de démissionner si jamais le Zaïre monnaie n’était convertible sur le Marché de change international. Et, Vous ne l’avez pas fait et, semble-t-il, Vous n’avez pas envie de le faire !

Le chaos est total, Citoyen Président-Fondateur, du fait que vos proches collaborateurs, amis et Membres de famille se retrouvent parmi les plus grands commerçants spéculateurs, corrupteurs, etc., que le pays n’ait jamais connus. Que même l’aide étrangère, fruit de l’endettement que payeront les générations futures, est accaparée par ces protégés qui l’écoulent sur le marché noir à des prix hors du budget d’un simple fonctionnaire de l’État, d’un simple travailleur, d’un paysan zaïrois !

Le chaos est total parce que, d’après la Presse étrangère, Vous êtes coté comme un des plus riches du monde !  Oui, le chaos est total parce que vos proches collaborateurs, amis et Membres de famille sont qualifiés par la même Presse étrangère comme étant aussi, si pas plus riches que l’État zaïrois lui-même, toute proportion gardée, bien entendu !

Dans un meeting à Kinshasa, ne Vous éleviez-Vous pas contre un enrichissement exagéré des citoyens qui de ce fait pouvaient mettre la vie de l’État en danger ? Ce message ou cette mise en garde valait-il seulement pour les autres Zaïrois et non la catégorie des privilégiés citée ci-dessus ? Comment, dans cette hypothèse, peut-on considérer que la sécurité future de l’État zaïrois restera garantie ?

Le chaos est total parce que, avec la confiscation du pouvoir d’achat et la misère qui en a résulté, les efforts de production s’en trouvent découragés. La corruption et même le vol restant les seuls moyens de survie ! Peut-on mieux asservir un Peuple ?

3.9. Menace à notre indépendance économique.

Vous accusiez les politiciens de la 1ère République de s’être « déclarés prêts à vendre le pays et le Peuple congolais à la condition expresse qu’ils soient aidés à se maintenir ou à reprendre le pouvoir ».

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La réponse à cette question est plus qu’évidente mais nous tenons à fournir quelques illustrations très sélectives.

Commençons par le Plan qui porte votre prestigieux nom. Il Vous a été imposé par les milieux financiers internationaux et, tels des pèlerins de corruption, nos hauts fonctionnaires se sont faits plus d’une fois ridiculiser devant nos maîtres pour faire approuver ce plan jusqu’à ce jour, sans succès.

Dans son fond, ce plan est un ensemble de projets que vous voulez vendre aux étrangers et avec eux notre indépendance.

Prenons un exemple. Entre 1950 et 1957, la part des apports extérieurs dans nos investissements totaux s’élevait en moyenne à près de 20 %. Nous étions colonisés.

De même, ce plan met l’accent sur les secteurs qui accentuent notre dépendance : mines, transports et agriculture d’exportation.

  1. La situation sociale

L’analyse menée jusqu’à présent a été limitée aux domaines politique et économique. Si au Zaïre, l’on clame que l’économie est au service de l’homme, voyons à présent le reflet sur le plan social, de cette économie prétendument mise au service de l’homme.

D’abord, que dit le Manifeste de la N’Sele, notre Charte fondamentale, à ce sujet : «  Le MPR ne permettra pas l’injustice consistant à exiger plus des uns pour enrichir plus rapidement les autres …Seule l’amélio­ration du mieux-être individuel constituera à la fois la récompense du travail accompli et l’incitation à la poursuite et à l’augmentation des efforts consentis » (42).

« D’où nécessité d’une répartition équitable du revenu national, d’un accroissement de la production et d’une rationalisation, dans l’intérêt collectif… d’une suppression des gaspillages et des efforts improductifs » (43).

En outre, il n’est pas sans intérêt de rappeler que la devise de la République du Zaïre est « PAIX-JUSTICE-TRAVAIL » et celle du MPR : « SERVIR ET NON SE SERVIR ».

Ce sont donc toutes ces proclamations qui, à notre humble avis, devaient constituer le fondement de la politique sociale de la 2ème République, donc de notre État-Parti, le MPR.

En fait, quelle est la réalité après quinze ans de pouvoir sans partage ?

En gros comme en détail, il n’est plus un secret pour personne que le Zaïre est classé parmi les pays les plus pauvres, les plus affamés, les plus mal nourris, les plus mal soignés, les plus mal éduqués du monde. À telle enseigne que, si au moment du coup d’État de novembre 1965, le Zaïre était à deux doigts du gouffre, aujourd’hui, il est entièrement et pleinement enfoncé dans ce gouf­fre que le régime a pris soin de qualifier de « tunnel » ! Quel « tunnel » ?

Citoyen Président-Fondateur,

Il n’est certes pas possible d’abor­der l’ensemble de la situation sociale dès lors que Vous avez déjà Vous-même eu l’occasion de le faire à maintes reprises. Nous nous contenterons donc simplement d’aborder quelques aspects de ce gouffre pour démon­trer, au moyen de quelques exemples, l’incapacité du régime du 24 novembre 1965 à améliorer le bien-être de notre population.

Auparavant, une mise au point s’impose. Nous ne sommes point d’accord avec la tactique qui consiste à Vous attribuer tous les avantages et à blâmer les Cadres pour tout ce qui n’a pas réussi. Au contraire, nous épousons entièrement ce dicton militaire qui Vous est du reste cher42: « Il n’y a pas de mauvaises troupes, il n’y a que des mauvais chefs » !

En outre, nous voudrions Vous montrer que, malgré un vocable fallacieux de création d’une société homogène, notre société est actuellement plus stratifiée que jamais. Votre politique de salaire s’il en existe une, et les effets sociaux (notamment la malnutrition) auxquels elle a donné lieu en est un exemple. D’autres exemples et d’autres questions nous viennent à l’esprit.

Avez-vous une politique de santé publique ? Quels résultats cette politique a-t-elle permis d’atteindre ?

Quelle est, enfin, votre politique en matière d’habitat et com­ment a-t-elle réussi ou échoué ?

Consciemment, nous avons laissé de côté les problèmes très importants et qui méritent une analyse profonde : l’Enseignement, la Protection de la Famille, la Protection de l’Enfance, l’Éducation des adultes, etc. C’est plutôt par souci de brièveté que par celui de vouloir, loin de nous l’idée, pondérer légèrement ces problèmes dans le schéma social du Zaïre. Que nos lecteurs ne nous en tiennent pas rigueur.

 4.1. La stratification sociale au Zaïre sous le régime MOBUTU.

L’un de vos slogans le plus cher : « Pensez et consommez zaïrois », a fait croire que la société zaïroise constitue une entité homogène politiquement, économiquement et culturellement. Dans cette même lettre, nous avons démontré son inconsistance au double point de vue politique et économique. Nous avons dénoncé ses aspects tribaux : « Entre un frère et un ami, le choix est clair ».

Sur le plan de la structure sociale, les experts les plus avertis admettent actuellement que le Zaïre est subdivisé en classes socia­les dont la nouveauté et l’antagonisme latent sont à la mesure des prétentions du Chef Suprême que Vous êtes. Ces classes sont :

  1. Le Président-Fondateur et sa clientèle ;
  2. La grande bourgeoisie potentielle ;
  3. La nouvelle petite bourgeoisie ou classe moyenne ;
  4. Les salariés ;
  5. Les sous-prolétaires.

Ces mêmes experts établissent et les Rapports de la Banque du Zaïre le confirment que la « classe présidentielle » (notre appellation) est composée d’une cinquantaine d’individus proches du Président par des liens familiaux ou régionaux, occupant les positions les plus lucratives et contrôlant les rouages de l’organisation politique (44).

Citoyen Président-Fondateur,

Vous avez l’habitude d’affirmer qu’il n’y a pas de petits ni de grands Zaïrois. Mais, sur une population de 25 millions d’habitants, cinquante individus seulement « occupent les positions les plus lucratives et contrôlent l’appareil politique tout entier ». Ceci revient à dire que dans la société zaïroise « authentique », le pourcentage de ceux qui contrôlent l’économie et la politique s’élève à 0,0002 % !!! Il n’y a que nous sachions, aucun pays au monde où la concentration du pouvoir économique et politique est aussi scandaleuse !

Votre régime a-t-il donc substitué aux 350 familles (et non des individus) belges une famille de cinquante personnes ?

Quant à la grande bourgeoisie potentielle, elle n’a aucun pouvoir susceptible d’être transformé en décision économico-politique capable d’affecter l’avenir de notre pays. Ses tentatives de former une Opposition valable sont souvent brimées ou étouffées dans l’œuf.

Le reste de la stratification est silencieuse quoi que majoritaire : « une majorité silencieuse ». Parmi elles se trouvent des « salariés » et des « sous-prolétaires » qui n’ont ni sécurité d’emploi et donc de revenus, ni celle de survie ! À notre avis, un édifice construit sur une structure sociale aussi fragile ne peut prétendre assurer l’homogénéité sociale. Le seul moyen d’empêcher l’effondrement d’un tel système social reste la dictature et l’oppression !

4.2. Les salaires et la nutrition

Corollaire de la stratification sociale décrite ci-haut, la situation salariale du Zaïre est des plus déplorables. En effet, sur la base de 100 en 1970, le salaire réel a connu l’évolution suivante jusqu’en 1977 (45) : 

   1973  1974  1975  1976  1977  Évolution    
Secteur privé Secteur public Moyenne96,7 95,2 95,9584,1 92,7 88,4074,3 79,4 76,8555,8 58,2 57,0036,2 37,7 36,95-62,56 -60,40 -61,49

La dernière colonne de ce tableau montre qu’entre 1973 et 1977, le salarié du secteur privé a perdu 63 % de son revenu réel tandis que celui du secteur public a connu une perte de 60 %. En moyenne, le salarié (public et privé) a connu une perte de 61 % de son revenu ! Mais au profit de qui ? En votre qualité de Guide Suprême, Vous avez certainement la réponse.

Servir et non se servir. Dans ce but, et afin de normaliser les tensions salariales inadmissibles, le Conseil Législatif a examiné et adopté au cours de sa session ordinaire d’octobre 1979 le projet de loi portant Statut du Personnel de carrière des services publics de l’État. Au cours des débats, le Représentant de l’Exécutif avait, à maintes reprises, souligné l’importance et l’urgence de ce projet de loi pour la solution des problèmes qui se posent au sein de notre Administration.

Le Président-Fondateur, Président de la République, a opposé son veto à la promulgation de ce projet de loi. À la question de savoir pourquoi vous avez répondu aux Commissaires du Peuple :

« Je n’ai pas voulu promulguer la loi adoptée par le Conseil au cours de sa session d’octobre 1979 sur le Statut des Agents de l’État pour des raisons de réalisme. En effet, des avantages exorbitants que prévoyait cette loi n’étaient pas réalisables eu égard aux contraintes d’ordre financier auxquelles est tenue notre écono­mie depuis ces derniers temps. Prenons l’exemple de l’indexation des salaires à la variation du coût de la vie, du régime des congés, des allocations diverses au titre d’avantages sociaux, tout cela n’était pas réalisable, le budget ne pouvait en aucun cas le permettre. Dans ce cas, plutôt que de jouer au démagogue en promulguant une loi dont l’application est impossible compte tenu de la conjoncture, je préfère renvoyer au Conseil Législatif le texte pour que tous ces aspects financiers soient adaptés à la conjoncture économique du pays. Il s’agit là d’une attitude responsable » (46).

La Fonction Publique zaïroise, pourtant pierre angulaire de l’État et moteur par excellence de tout programme de développement, demeurera longtemps le parent pauvre du pays. Et avec tout cela, on ne peut attendre d’elle ni plus de vertu, de conscience professionnelle et encore moins une participation effective dans la réalisation du management dans l’appareil de l’État.

Mais, en quoi est-ce que les contraintes financières que vous évoquiez pour écarter les fonctionnaires d’une juste répartition des revenus du pays peuvent valoir quand on sait que, peu de temps après, vous avez créé une multitude d’organes politiques doublés des administrations politiques parallèles, aux salaires extrêmement élevés, et dont le résultat final se traduira par une charge financière plus élevée que celle qu’aurait dû entraîner l’application du statut des agents de l’État ? Le Président-Fondateur qui soutient publiquement que le problème du Zaïre n’est pas un problème politique pense-t-il que les nouveaux organes politiques sont plus utiles que notre Administration publique ? Faut-il encore nier que son souci majeur est d’abord et avant tout celui de privilégier ce qui concourt à son maintien au pouvoir et au renforcement de celui-ci ? Servir et non se servir.

Et comme attitude « responsable » et non « démagogique », on ne peut trouver mieux.

Mais ce qui nous intéresse encore davantage, c’est d’établir une relation entre votre politique des rémunérations et la situation nutri­tionnelle du pays. Cette relation est extrêmement difficile à établir pour l’ensemble du Zaïre du fait de l’inefficacité et l’inefficience de l’administration que vous avez mise en place pour s’occuper plus de la propagande du Parti unique que de la gestion du pays. Nous prenons la Ville de Kinshasa comme point de départ, comme point d’appui.

Le tableau ci-après fournit l’information relative aux catégories salariales et l’équivalent en quantité de manioc, de pain, de viande, etc., que le salaire de chaque catégorie peut permettre d’acheter par jour à Kinshasa au milieu de l’année 1980. Ce tableau est immédiatement suivi d’un autre qui renseigne sur le contenu nutri­tionnel de principaux produits alimentaires du ménage zaïrois. Au bas de ce tableau, nous donnons le minimum de calories requises par ménage de six enfants, soit 16.962 unités. Ce qui équivaut à une moyenne de 5.654 unités par membre de famille.

De ce tableau, il se dégage que les catégories manœuvres (1.056 unités), moniteurs (1.408 unités) et dactylographes (2.016 unités) sont dans l’impossibilité, si elles consacraient tout leur salaire à l’achat du manioc, d’atteindre le minimum de calories mondialement admis ! Il en est de même si ces catégories consacraient leur salaire à l’achat du maïs ou du riz (47).

Il est connu que près de 80 % des employés zaïrois se trouvent dans cette catégorie. Il s’ensuit donc que 80 % de notre masse de salariés se trouve ainsi mal nourris ! Est-ce le sens du slogan « L’économie au service de l’homme » ? Et dire que vous affirmez sans cesse être le « garant » de notre bien-être !

Cet état des choses est en contradiction avec le slogan maintes fois répété selon lequel « le MPR s’oblige à donner à chacun ce dont il a besoin pour son manger, son vêtement et son habita­tion ». Il est d’autant plus contradictoire que ses répercussions sur la santé de notre population sont dévastatrices. Le dossier de la DCWB relève la recrudescence d’une variété des maladies sociales suivantes :

  • Maladies dues à diverses carences « carentielles » (manque de vitamines : pellagre ; manque de protéines : kwashiorkor) ;
  • Maladies infectieuses et parasitaires (infectieuses : tuberculose, maladies vénériennes, fièvre typhoïde, etc. ; parasitaires : mala­ria, verminoses, bilharziose, etc.) ;
  • Maladies endémiques (maladie du sommeil, poliomyélite, etc.).

Le journal ELIMA du 30 septembre 1980 en stigmatise le résultat final par un titre révélateur de son article : « 42 % des enfants zaïrois souffrent de la malnutrition ».

35 Équivalent à 55 millions de Zaïres pour les 11 premiers mois de 1965.

36 Équivalent à 20 millions de Zaïre pour les 11 premiers mois de 1965.

37 Voir KABUYA KALALA « Dépenses Publiques-Déficits budgétaire et Pouvoir Économique au Zaïre » « Zaïre Afrique », n° 148, p.476

38 Banque du Zaïre, rapport 1977-1978. 

39 Notez que cette comparaison a un certain degré d’inexactitude car le Zaïre-monnaie de 1965 n’est pas le même que celui de 1980. Mais parce que, dans votre discours de décembre 1965, vous aviez estimé de ne point déflater vos données, nous utilisons la même pratique. 

40 Voir Kabuya Kalala, op. Cit.

41 Votre discours-programme 1965, p. 25

42 Manifeste de la N’Sele, Ed. IMK p.13 et 14

43 (Idem) p.8.

44 Nous avons tiré ces informations du Dossier de DCWB, op.cit.

45 Source : Banque du Zaïre, rapport 1977-1978, p.110

46 Questions et réponses au Président- Fondateur du MPR, Président de la République, Rencontre à Kinshasa sur le bateau présidentiel, le 17.6.1980

47 Voir Joseph Houyoux, Budgets Ménagers, Nutrition et Mode de vie à Kinshasa, PUZ, Kinshasa, 1973, spécialement pp. 89-92

Citoyen Président-Fondateur,

Pouvez-vous expliquer à votre population ce qui, dans votre régime est à la base d’une telle détérioration de la situation sociale du pays ? Cet échec doit-il être, comme vous en avez pris l’habi­tude, imputé entièrement aux Cadres du Parti ? Quel est votre rôle personnel dans ce processus d’élimination physique systémati­que de notre population ?

 Tableau I : Situation du salarié zaïrois (1)

 CatégorieSal. Mens. (en Z)Quant. (le kg) manioc équiv. Jour./hommePain Equiv. le kg jour./HommeViande Equiv. le Kg Jour./ HommePoule Equiv. (poids)
1.Manœuvre 2. Moniteur 3. Dactylo 4. Chef de Bur. 5. Expert Tech. 6. Ingénieur zaïr. 7. Médecin zaïr.20 60 100 250 1.200 3.000 3.5000,03 0,04 0,08 0,35 1,65 4,17 4,800,33 1,00 2,33 5,67 26,67 66,67 77,670,27 0,80 1,33 3,33 16,00 40,00 46,670,67 2,00 3,33 8,33 90,00 100,00 120,00
  • Nous nous sommes servis du Dossier DCWB pour la constitution de ce tableau. La taille moyenne du ménage est de six enfants et les chiffres donnent la quantité journalière par personne.

Tableau II

  Manioc % grMaïs % grBanane % grRiz  % grLimite jour/ Personne
Calories Humidité Protéines Lipides Hydrates Fibres352 13,3 1,5 3 83,4 1,4339 14,2 9,6 2,6 72,1 1,683 76,3 1,7 0,1 21,1 1,2358 13 7,4 0,2 78,9 0,61689-2712 17-49.80 375-577

(1) À une température moyenne de 25°C, l’homme de Kinshasa (25 ans pesant 65 kilos) a besoin de 2.960 calories par jour.

(2) Une femme de 25 ans pesant 59 kilos a besoin de 2.099 calories par jour.

(3) Enfants :         1.984 calories   x    6 = 11.903 par ménage

      Père                                                     2.960

      Mère                                                    2.099                  

      TOTAL ménage                                16.962    

4.3. Situation salariale des Agents de l’Administration Publi­que.

Nous avons déjà fait allusion au statut des Agents de l’Admi­nistration publique. Les tableaux ci-dessous vous permettront de mieux apprécier le sort réel de cette catégorie importante de notre société.

Tableau III Régime des agents de l’État au 1er avril 1979

  GRADETraite-ment de baseIndemnité        de loge-mentSoins pharm.Alloc. Épouse fam. MoyenTot. BrutImpôt moyenTotal net moyen
11. Secrétaire d’État 12. Directeur 13. Chef de Div. 14. Chef de Bureau 21. Att. Bur. 1ère clas 22.Att. Bur.2è Clas. 31.Agt. Bur.1er Cl. 32. Agt. Bur 2è Cl. 33. Agt. Aux.1ère Cl. 34.Agt. Aux. 2èCl. 35. Huissier1.178 520 443 367 300 262 161 124 98 87 72100 80 60 50 45 40 35 30 25 20 1510 10 10 10 5 5 5 5 5 5 521,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,80 21,801309,80 631,80 534,80 448,80 371,80 328,80 222,80 180,80 149,80 133,80 113,80454 102 76 54 37 28 13 9 6 5 4855,80 529,80 458,80 394,80 334,80 300,80 209,80 171,80 143,80 128,80 109,80

 N.B. La composition familiale moyenne est de 4 enfants.

Nous ne croyons pas superflu de compléter le tableau III ci-dessus par un autre donnant, cette fois, une idée sur le menu de famille de 6 personnes, c’est-à-dire les parents plus 4 enfants. Il est envisagé trois repas par jour. La Consommation de la viande (pieds de cochon), intervient pour deux fois par semaine.

   DESIGNATION  QUANTITE  (Z) COÛT PAR
JOURMOIS
    
 T O T A L43,60923

Citoyen Président-Fondateur,

Vous conviendrez certainement que le menu ci-dessus est dérisoire et ne mérite même pas d’être qualifié de minimum. Seuls les nutritionnistes pourraient déterminer la valeur qualitative qui, cela va de soi, est loin d’atteindre les normes humainement admises.

Ce qui est significatif, cependant, c’est que même le Secrétaire d’État, qui est le plus haut fonctionnaire n’est pas en mesure, avec son salaire, de se le procurer. À remarquer que ce menu fait abstraction de tous les autres frais tels que le logement, l’énergie (pétrole ou charbon de bois ou électricité), l’eau courante, les soins pharmaceutiques et hospitaliers, la scolarité des enfants, l’habillement, etc.

Si la situation est telle pour le Secrétaire d’État, que dire de l’huissier dont le traitement n’est que de 108 Zaïres ? Pour correspondre à son salaire, le menu ci-haut qui est déjà en dessous du minimum admissible doit, pour l’huissier, être réduit à 1/8ème !!!!

Mais, comment vit-il, lui est sa famille ? Hé ! Bien, il n’y a que l’huissier lui-même qui peut nous livrer le secret du miracle qu’il opère quotidiennement.

Sans chercher à vous excéder, loin de nous cette pensée, permettez-nous de vous donner cet autre tableau, qui traduit en ter­mes de pouvoir d’achat les salaires des différentes catégories des agents de notre Administration Publique.

 Tableau V

DésignationSalaireEquiv MaïsEquiv ManiocEquiv. Lait NidoEquiv. Viande (Kg)Equiv. PoulesEquiv. Riz (Sac)
Secrétaire d’État Directeur Chef de Division Chef de Bureau Att.Bur.1ère Clas Att. Bur. 2èClas. Agt.Bur.1èreClas Agt.Bur.2è Clas. Agt.Aux.1èClas. Agt.Aux.2èClas. Huissier855,80 529,80 458,80 394,80 334,80 300,80 209,80 171,80 143,80 128,80 109,805,34 3,31 2,86 2,46 2,09 1,88 1,31 1,07 0,89 0,80 0,687,13 4,41 3,88 3,29 2,79 2,50 1,74 1,43 1,19 1,07 0,9110,06 6,23 5,39 4,64 3,93 3,53 2,46 2,02 1,69 1,51 1,2924,45 15,13 13,10 11,28 9,56 8,59 5,99 4,90 4,10 3,68 3,138,73 5,40 4,68 4,02 4,01 3,06 2,14 1,75 1,46 1,31 1,126,58 4,07 3,52 3,03 2,57 2,31 1,61 1,32 1,10 0,99 0,84

N.B.

1 sac de maïs                                                 :   160 Z

1 sac de manioc                                             :   120 Z

1 sac de riz Bumba de 50kg                           :   130 Z

1 boîte de lait Nido                                        :     85 Z

1 kilo de viande carbonade                            :     35 Z

1 poule vivante ± 2kg                                     :     98 Z

Il se dégage de ce tableau que le traitement du plus haut fonctionnaire de l’État ne représente en valeur que 10 boîtes de lait ou 24 kilos de viande ou encore 8 poules.

L’huissier, par contre, n’a pas beaucoup de choix. Une boîte de lait ou une poule suffit pour absorber tout son traitement.

Honnêtement parlant, Citoyen Président-Fondateur, que pouvez-­vous attendre de ces braves gens du point de vue de la productivité ? Un miracle supplémentaire en plus de celui qu’ils opèrent chaque jour et on ne sait comment, pour survivre ?

Comment dès lors s’étonner de la recrudescence du vol, du banditisme, de la corruption scandaleusement installée, des détournements quasi institutionnalisés, de la délinquance juvénile, etc. ?

Est-il moralement juste de condamner certains parents qui, pour nouer les deux bouts du mois, prostituent leurs filles encore mineu­res ? Serait-ce, peut-être, une des raisons qui a poussé le législateur à ramener la majorité sexuelle de la Zaïroise à 14 ans ?

Vos services de renseignements seraient-ils gênés de Vous révéler ce nouveau phénomène qui fait que dans la capitale, par exemple, où les services d’hygiène ont pratiquement disparu, l’on ne retrouve le matin aucune trace de tous les chiens et chats écrasés la veille sur la rue ? Ce qu’ils deviennent ? Hé, bien, votre popula­tion en fait son compte !

Dans un tel contexte social, peut-on reprocher au jeune Cadre son attitude de découragement, de démobilisation et de démission ? Ou encore prétendre lui interdire de se livrer, pour survivre, aux opérations salutaires qu’il appelle « KAMIKAZES » ou « EXTRA-MUROS » ? Ne croyez-vous pas que votre politique sociale a tué tout sentiment patriotique des jeunes fils de ce pays et contraint bon nombre d’entre eux à voguer désespérément vers des horizons inconnus à la recherche d’une patrie-mère nourri­cière et affectionnante ?

Par contre, la masse qui ne peut s’expatrier et qui a goûté les fruits de l’OBJECTIF 80 s’inquiète sur les visées du PAM lequel, vous l’avez certainement déjà appris, s’est vu dès sa naissance attribuer des sobriquets tels que « PLAN D’AMAIGRISSEMENT MAXIMUM » ou encore « PLAN D’ANÉANTISSEMENT DES MOUSTIQUES ». Par moustique, il faut entendre le petit peuple !

Certes, vous n’êtes pas magicien. Mais comment justifier un bilan aussi négatif alors que ces pauvres gens Vous ont toujours assuré de tout leur soutien, tandis que, dans les villages, leurs parents n’ont cessé de vous appuyer et de vous applaudir comme vous aimez souvent le répéter à la Presse étrangère ?

4.4. La Politique de Santé Publique.

Nous venons de stigmatiser comment votre politique salariale condamne à mort et cela d’une manière systématique la population du Zaïre. Ce n’est pas tout. La politique salariale est doublée d’une politique de santé qui non seulement accélère la destruction physique de notre Peuple, mais condamne ce Peuple à un état mental néfaste pour la bataille intellectuelle du 21ème siècle. En effet, que peut accomplir un enfant mal nourri sur le plan de la performance intellectuelle ? Pas grand-chose n’est-ce pas ?

Comme le montre le tableau ci-dessous, la part que Votre Gou­vernement consacre à la santé dans son budget n’a cessé de diminuer. En 1960, cette part déjà inférieure à celle de 1955 (période coloniale) était de 8,3 % du Budget de l’État. Elle a atteint son minimum de 1,5 %, en 1978 sous votre règne et n’était que de 5 % contre 10 % en 1955 !

Citoyen Président-Fondateur,

Les rapports de diverses sources indiquent l’existence d’un mécanisme de détournement des fonds destinés à l’amélioration de la santé de la population. Vous le savez puisque les Commissaires du Peuple, à leur tour, n’ont cessé de la stigmatiser, Vous préférez le silence parce que dans beaucoup de cas, ces détournements sont justifiés – et cela quand le scandale éclate – comme ayant servi à la redynamisation des activités du Parti ! Ne dit-on pas : « Le MPR d’abord et le reste après » !

La conclusion à laquelle arrivent certains de ces rapports est plutôt révoltante : « Cet état de choses fait régner l’angoisse, l’anxiété et l’insécuri­té dans de nombreux ménages qui craignent d’être pris au dépourvu par la maladie justement le jour où’ ils ne sont pas en mesure d’y faire face » (48).

Et pourtant, le plus grand mérite de votre régime, selon Vous, n’est-ce pas la paix et la sécurité ?

Si la paix est grossièrement définie dans sa conception milita­riste comme étant l’absence de la guerre, elle ne couvre dans ce cas qu’une petite partie de la réalité sociale. En effet, un Peuple peut vivre dans une situation caractérisée par la paix au sens militaire du mot sans pour autant être dans une situation de paix sociale réelle. Celle-ci exige une combinaison des facteurs qui permettent à la population d’éliminer l’anxiété, l’insécurité mentale, la crainte de surprise d’une maladie sans moyen d’y faire face, etc.

La vérité la plus élémentaire est que la population du Zaïre n’est ni dans une situation de paix ni dans un état de sécurité car, ni sa nutrition, ni sa santé ne sont pour elle des acquis sûrs ! Et la radio-trottoir ironise : « Paix retrouvée » n’est rien d’autre que « Faim retrouvée » et « Mort revigorée » !

L’échec de votre politique de santé peut-il encore faire l’objet d’un doute ?

Tableau VI Dépenses de Santé au Zaïre

AnnéeBudget de l’ÉtatBudget de Santé% par rapport au Budget de l’État
1955 1956 1958 1960 1962 1964 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 19789.704.436 10.221.326 12.438.686 17.103.000 13.785.040 9.532.689 113.771.549 145.000.000 163.455.350 217.850.105 329.998.800 364.628.866 446.727.000 493.449.000 655.575.000 848.160.000 783.149.000991.707 1.102.509 1.235.163 1.413.000 216.200 222.222 12.033.407 1.785.656 3.698.609 4.073.356 4.497.635 6.774.965 7.726.267 7.982.000 36.049.000 48.631.000 41.666.00010,2 10,8 9,9 8,3 1,6 2,3 1,9 1,7 2,8 2,2 1,4 1,7 1,6 1,5 5,5 5,74 5,32

 4.5.   L’Habitation en régime du 24 novembre 1965

Ce chapitre de la situation sociale de notre pays serait incom­plet si l’on abordait le problème des conditions d’habitation du Peuple zaïrois.

Sauf erreur de notre part, il n’existe depuis l’indépendance, aucune politique d’habitat au Zaïre. Les Institutions spécialisées qui œuvraient dans ce domaine, ont comme tant d’autres péris ou sont en voie de périssement par suite de détournements (Crédit aux Classes Moyennes, ONL, CENCI, etc.)

Plusieurs villages et cités extra-coutumiers zaïrois du temps colonial n’existent plus que par leur nom : Mbandaka, Kananga et nous en passons. La multiplicité de Zones de squatting et bidonvilles n’a de limite que la pauvreté des habitants. Il suffit de regarder la dégradation de Kinshasa pour vous convaincre de la véracité de notre propos.

Citoyen Président-Fondateur,

En plus de cette politique de « douce négligence » de l’habitat et probablement à cause d’elle, vous avez favorisé des inégalités de tous genres dans l’équipement des habitations en nécessité de base.

Contrairement à la volonté du Manifeste de la N’Sele de voir disparaître l’injustice sociale dans tous les domaines de la vie nationale, on découvre qu’une infime minorité a deux ou plusieurs habitations de luxe dont le style d’importation contraste honteusement avec les taudis qu’occupe la majorité du Peuple.

À titre d’exemple, nous vous présentons le tableau ci-dessous relatif à l’équipement des Zones de Kinshasa en W.C, eau et en pièces utilisables. La dernière colonne de ce tableau indique le pourcentage de la population de chaque Zone.

Il se dégage qu’à peine 24 % de la population dispose de toutes les habitations modernes de Kinshasa (W.C, eau et 4/5 pièces !)  Le reste des habitants disposent, à raison de 28 % de W.C et 55 % d’eau, à peine de 2 pièces utilisables.

Si l’on considère que la propriété de ces habitations revient aux ­50 personnes dont il est question ci-dessus (en grande majorité), l’on s’aperçoit que non seulement la population est démunie de toute habitation décente mais surtout qu’elle est mise en état d’une forte dépendance morale et soumise à des chantages du fait de l’absence d’une politique promotionnelle de l’habitat.

S’il est possible de résumer cet examen rapide de la situation sociale de notre pays, vous serez certainement d’accord avec nous sur les conclusions suivantes :

1) Votre régime a engendré une stratification politico-sociale qui aboutit au remplacement de 350 familles belges par une cinquantaine d’individus, Membres de votre famille ou simples courtisans ;

2) Votre régime a engendré la paupérisation affamante de la popu­lation zaïroise tout entière ;

3) La paupérisation a donné lieu à une malnutrition endémique dont les maladies de toutes sortes et la mort sont les conséquences quotidiennes ;

4) Votre régime a négligé la Santé Publique et, pour mieux mater et assujettir le Peuple, lui a offert la musique et la danse à grands tintamarres.

 Tableau VI Habitation à Kinshasa (1)

 Zone%W.C%EauNombre PiècePopulation 15 ansEn %
1.Résidentielle 2.Citées planifiées 3.Nouvelles citées 4. Anciennes citées 5. Extension Sud 6.Excentriques Moyenne99,4 68,6 51,9 37,3 13,6 8,5 36,799,4 94,8 92,8 89,8 30,6 6,8 69,04,76 4,28 2,62 2,37 2,60 2,76 2,96231.100 750.100 776.100 764.100 835.000 739.100 409.5506 18 19 19 20 18 100

Source : KASHALA TUMBA D. « Contribution de la Planification à l’élaboration d‘une Politique de Santé Dynamique et Professionnelle en République du Zaïre ». Thèse de Doctorat, Louvain, Faculté de Médecine-École de Santé Publique (Louvain 1976) p. 79.

Voir aussi Joseph HOUYOUX, op.cit.

Comme dans les domaines précédents, nous sommes bien malgré nous obligés de conclure à un échec de votre règne dans la politique sociale que vous avez menée dans notre pays.

Nous savons que vous n’aimez pas de voir étalées toutes ces vérités. Mais comment pourrait-on y remédier un jour si l’on ne prend pas entre les deux mains le courage de le dire ?

  1. Les Forces Armées Zaïroises

Cette démarche que nous considérons comme importante pour le bien et la grandeur de notre pays serait incomplète si nous ne disions pas un mot sur nos Forces Armées.

Sans parler de leurs grands mérites durant la colonisation, et particulièrement de leur bravoure et de leur combativité au cours des deux dernières guerres mondiales, il est indéniable en effet, qu’au cours de ces 20 ans d’indépendance, nos Forces Armées n’ont cessé de donner le meilleur d’elles-mêmes : lutte pour l’unité du pays, lutte pour la défense et la sécurité des biens et des per­sonnes.

En dépit de certaines critiques qui leur sont adressées et dont elles ne sont pas du tout responsables, et en dépit des moyens d’action souvent précaires, les FAZ n’en demeurent pas moins une Armée viable empreinte d’un sublime sens patriotique.    

Mais faut-il pour autant considérer que tout va comme dans le meilleur des mondes dans notre Armée ?

Comme dans les autres secteurs de la vie nationale, l’Armée zaïroise a aussi ses problèmes qui sont et qui doivent être considérés comme les problèmes intéressant la Nation tout entière.

S’il est admis, en effet, que la responsabilité suprême de l’Armée est celle du Président de la République, Chef des Armées, il ne peut cependant pas se concevoir que l’Armée soit, pour autant, une « chasse-gardée », domaine exclusivement réservé au Président de la République.

Car, dans ce monde moderne où les formes d’agressions concevables se sont diversifiées et vont du conflit nucléaire à la guerre économique, des conflits frontaliers pour des jeunes Nations de l’Afrique à l’intimidation, la notion de la défense présente désormais un caractère général qui ne se réduit pas à ses aspects proprement militai­res. Le caractère « interdépartemental » de la défense devient dès lors évident et le soutien de l’ensemble de la population indispensable. Or, le fossé entre l’Armée et la population s’élargit chaque jour davantage. Leurs rapports réciproques sont plutôt faits de méfiance que de collaboration et d’estime mutuelles.

Depuis la colonisation jusqu’à l’indépendance, l’Armée nationale s’est toujours présentée comme un corps véritablement national, c’est-à-dire représentatif, en nombre plus ou moins égal, des ressor­tissants de toutes les Régions du pays. Elle jouissait de l’estime réelle et même de l’admiration de la population.

Cet équilibre national s’est trouvé un peu bouleversé par la nécessité ressentie comme solution de la concorde nationale d’absorber les éléments provenant des sécessions de Kisangani, du Shaba et du Sud-Kasaï. Et il était normal, dans les années d’après, de redonner à notre Armée son caractère national, de manière à sécuriser l’ensemble de la Communauté zaïroise. Nous pensons que cette tâche a été accomplie.

Mais, depuis un temps, Citoyen Président-Fondateur, nous avons l’impression que notre Armée est de nouveau en train de perdre son caractère national.

En effet, le recrutement pour le renouvellement ou l’augmentation des effectifs se poursuit en dehors des Régions du Shaba, des deux Kasaï et du Bandundu, particulièrement la Sous-Région Kwilu. Cette dernière Région est venue rejoindre le rang des Régions « indexées » après les derniers événements du Kwilu.

Déjà susceptible d’engendrer de la méfiance, cette politique a néanmoins abouti à la naissance et à la constitution des unités homogènes telles : la DITRAC (Division des Troupes Aéroportées et de Choc, dissoutes en 1977) et de la DITBL (Division des Troupes Blindées) dont les éléments sont presque à 100 % originaires de l’Équateur. S’il y a des ressortissants d’autres Régions dans ces unités d’élite, ils y sont en nombre insignifiant et s’y sentent comme des étrangers.

Il en va de même de l’École de Formation des Officiers installée à Kananga où la présence des originaires des Régions dites « indexées » est insignifiante ou pratiquement nulle. Si cette politi­que est payante pour la pérennité de votre régime, elle n’en demeure pas moins compromettante, à plus ou moins longue échéance, pour la paix, la cohésion et l’unité nationales.

En effet, les faits de l’Armée étant susceptibles de répercussions dans la population, il faut se garder, croyons-nous, de donner à penser que vous êtes en train de créer une milice afin d’aboutir à la consécration effective d’un État Policier. En ces matières, l’Histoire est si riche d’enseignements que nous nous permettons de vous conseiller d’y renoncer.

Combattant de l’unité dans la fraternité, notre vœu est que l’Histoire de notre pays, consacre un jour votre nom comme celui d’un Chef qui a véritablement façonné et renforcé l’unité du pays et la concorde au sein de toutes ses populations. Ne sont-ce pas là aussi les options fondamentales du MPR ?

5.1.  Formation et discipline

La formation actuelle des troupes et des officiers, formation axée sur la quantité et non la qualité, remet en cause l’efficacité même de l’Armée tant du point de vue de la discipline que du point de vue technique et tactique.

L’Armée zaïroise est probablement la seule au monde à bénéficier d’une assistance technique multiforme. Les officiers formés à Kananga reçoivent une formation du type belge. Quant aux autres, ils sont formés par les Français, les Chinois, les Coréens, etc. C’est aussi vrai pour les hommes de troupe.

Cette formation hétérogène et disparate tant dans le fond que dans la forme conduit inévitablement à la naissance des groupe­ments antagonistes se réclamant qui de la supériorité des Améri­cains, qui de l’efficacité des Coréens, qui de la mobilité et de la précision dans les actions des Belges, etc.

L’on ne peut pas nous convaincre que les représentants de ces différents pays qui se sont penchés sur la formation de nos officiers et de nos hommes de troupe ne cultivent pas, même inconsciem­ment, cet orgueil par ailleurs compréhensible. Mais les conséquences c’est que, au fil des temps, cette situation finira par :

  • Détruire la discipline et la cohésion, facteurs primordiaux du patriotisme au sein de l’Armée ;
  • Rendre l’Armée réceptive des pressions et sollicitations extérieures ;
  • Affaiblir la capacité d’organisation adaptée aux objectifs de la défense et aux réalités nationales.

En effet, l’hétérogénéité des éléments qui composent aujourd’hui l’Armée, le tribalisme et le régionalisme qui y règnent, sans parler du virus politique que vous y avez inoculé, la formation disparate, la diversité d’uniformes correspondant au nombre d’Armées étrangères qui nous prêtent assistance, enlèvent toute possibilité de cohésion, tout sentiment de patriotisme, de sécurité et d’assurance aux FAZ.

Cette différence est remarquée par les hommes de la rue dont les supputations vont jusqu’à conclure à l’existence des deux espèces d’Armée, celle qui vous entoure étant plus nantie que le reste des FAZ. Toujours selon la radiotrottoir, ces derniers, les FAZ donc, ou du moins la plupart de ses éléments, seraient souvent dans l’obligation d’acheter eux-mêmes leur tenue, y compris le béret.

 Citoyen Président-Fondateur,

Nous savons bien que Vous tenez au bien-être même vestimen­taire de nos FAZ en particulier, pour tolérer l’existence d’une discrimination, même camouflée entre ses différents corps d’Armée.

48 Sur ce phénomène, lire : Le Département de la Santé Publique, « Problématique de la couverture des besoins de santé immédiats, à court et à moyen terme en République du Zaïre »

  1. Conclusion

Citoyen Président-Fondateur,

Nous savons combien Vous êtes allergique à la franchise et à la vérité. Mais ayant librement accepté la responsabilité de diriger notre pays, Vous deviez, cela va de soi, Vous attendre un jour à ce genre de réaction. Voilà quinze ans que nous Vous obéissons. Que n’avons-nous pas fait durant ce temps, pour Vous être utiles et agréables : chanter, danser, animer… Bref, nous sommes passés par toutes sortes d’humiliations, toutes les formes d’avilissements que même la colonisation étrangère ne nous avait jamais fait subir. Tout cela pour que rien ne manque dans votre combat pour la réalisation, ne fût-ce qu’à moitié, du modèle de société que Vous nous aviez proposé. Y êtes-Vous parvenu ? Hélas ! Non !

Après ces quinze ans de pouvoir que vous avez exercé sans partage, nous nous trouvons en présence de deux camps absolument distincts. D’un côté, quelques privilégiés scandaleusement riches. De l’autre, la masse du peuple croupissant dans la misère noire, et ne comptant plus que sur la charité internationale pour survivre tant bien que mal. Et quand cette charité arrive au Zaïre, les mêmes riches s’arrangent pour la détourner au détriment des masses misérables !

Oui, cette désinvolture a été tellement loin qu’on ne s’est pas gêné de détourner les rations destinées à nos propres troupes qui combattaient au Shaba. Vous l’aviez publiquement reconnu dans un meeting au Stade du 20 Mai.

Tout cela étant, nous voulons d’abord réaffirmer notre opposition à la violence, et notre foi dans la possibilité de trouver, par le dialogue, dans le respect mutuel, des solutions pacifiques et susceptibles de sauvegarder l’unité nationale, la paix, l’intégrité de notre territoire, et surtout, des solutions qui privilégient et stimulent le sentiment de fraternité sans lequel il est impossible de bâtir une grande Nation au cœur de l’Afrique.

Tout au long de cette lettre, nous avons essayé de démontrer combien Vous avez, sans motif apparent et sans même nous en avoir préalablement informés, abandonné les engagements contenus dans votre profession de foi formulée lors du coup d’État du 24 novembre 1965.

De cette démonstration, il est apparu que les maux socio-économiques qui, à juste raison, vous avaient incité à faire le coup d’État, n’ont pas été combattus, bien au contraire, la situation s’est dégradée encore plus gravement au point d’être considérée aujourd’hui comme désespérée. Et cela, en dépit de la paix retrouvée, en dépit de l’absence de tiraillements politiques, et malgré les moyens internes et externes autrement plus importants dont Vous avez eu à disposer.

Sur le plan du Parti, le MPR, nous avons aussi démontré que Vous Vous êtes délibérément écarté de la doctrine et des options fondamentales dont Vous étiez Vous-même l’auteur. Et ce n’est pas parce que le MPR s’est institutionnalisé, qu’il s’est attribué des privilèges constitutionnels, qu’il doit se croire délié des obligations impératives qu’il a contractées vis-à-vis du Peuple. Cette même Constitution n’autorise nullement le Président-Fondateur à dévier de la doctrine et des idéaux du MPR ? Seul le Congrès a le pouvoir de modifier, le cas échéant, les options fondamentales telles qu’elles sont définies dans le Manifeste de la N’Sele. Or, que nous sachions, aucun Congrès n’a jamais touché à ces options fondamentales.

Sur le plan constitutionnel, l’exposé des motifs de notre Constitution stipule, en page 9 : « La formule du serment constitutionnel du Président du Mouvement Populaire de la Révolution, Président de la République, a été élargie afin d’y inclure l’obligation de poursuivre, de sauvegarder en toutes circonstances, la doctrine et les idéaux du MPR, mission dont la violation pourra entraîner la destitution pour déviationnisme ».

En page 10, l ‘exposé des motifs dispose : « Le Bureau Politique est réaffirmé comme étant l’organe de conception, d’inspiration, d’orientation et de décision du MPR, chargé spécialement de veiller au respect des options fondamentales et à l’application des résolutions du Congrès. »

La Constitution est encore plus explicite lorsque son exposé des motifs poursuit toujours en page 10 : « C’est à ce titre qu’il (le Bureau Politique) est investi au nom de la Nation, de la mission de veiller sur la doctrine du MPR ».

Certes, en réalité, « C’est le Peuple qui est le véritable dépositaire et garant du Mobutisme et le Bureau Politique n’exerce cette mission que par délégation du Peuple »

Le Bureau Politique ayant failli à sa mission ou s’étant trouvé dans des conditions morales telles qu’il n’a pu l’exercer, le Peuple souverain que nous représentons, a le droit de prendre ses responsabilités. C’est la raison d’être de cette lettre.

Dans son préambule, la Constitution proclame sa conviction aux options fondamentales du MPR telles que définies dans le Mani­feste de la N’Sele.

En effet, si, au départ, le Manifeste de la N’Sele est l’œuvre du MPR, le contenu de celui-ci devient sacré dès l’instant où il est globalement adopté par la Constitution et admis comme faisant partie intégrante de celui-ci. Exactement de la même façon que le texte intégral de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme à laquelle la Constitution proclame également son adhésion.

Et pour préciser davantage la référence faite aux options fondamentales du Manifeste de la N’Sele, la Constitution épingle explici­tement ces objectifs impératifs à la réalisation desquels les Gouver­nants doivent s’atteler, sous peine, bien sûr, de perdre leur légitimité et de subir la sanction du peuple.

« Mûs par la volonté de garantir l’unité et l’intégrité territoriale, d’assurer à chacun le bien-être matériel et de créer les conditions propices à l’épanouissement moral et spirituel de tous les Zaïrois. Convaincus que seule la mobilisation des masses, sous l’égide du MPR permet au Peuple zaïrois de garantir son indépendance politi­que, économique, sociale et culturelle. »

De ces obligations du MPR et de l’État ont découlé les articles suivants de la Constitution : 

Article 27 : « Tout zaïrois a le droit et le devoir de contribuer, par son travail à la construction et à la prospérité de la Nation. Nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses origines, de son sexe ou de ses croyances, etc. »

Article 28 : « Tout zaïrois a la responsabilité de la bonne marche des activités du MPR. À ce titre, il a le devoir, par une vigilance de tous les instants, de soutenir la Révolution, d’en défendre les acquis et de sauvegarder l’unité nationale et l’intégrité territoriale. »

Notre constat dans les pages qui précèdent a démontré que ni le bien-être matériel ni les conditions propices à notre épanouissement global dont il est question dans le préambule de la Constitu­tion ne sont pas garantis, loin s’en faut.

Bien plus, et malgré toute la mobilisation dont le Peuple a fait montre autour et sous l’égide du MPR, notre indépendance politique et économique est malheureusement compromise.

En effet, comment voulez-vous qu’un pays qui a un endettement extérieur aussi lourd, un pays qui est acculé à la mendicité, puisse encore se gargariser d’être économiquement et politiquement indépendant ?

Citoyen Président-Fondateur,

Cette analyse froide démontre qu’un problème grave se pose à notre société. Vous avez souvent dit qu’un vrai chef est celui qui reconnaît ses erreurs. Vous l’avez souvent fait, mais le drame c’est que Vous n’en tirez pas toujours toutes les conséquences. Et le pire c’est que vous faites un pas en avant et trois pas en arrière. De sorte qu’au lieu d’avancer, nous reculons.

Citoyen Président-Fondateur,

Pour terminer, laissez-nous Vous dire qu’elle est illusoire et auto-damnation cette immortalité que Vous voulez Vous créer à tout prix et de force, en confisquant les Pouvoirs, en entourant Votre personne d’une auréole divine, en donnant Votre nom ou ceux des vôtres à nos avenues et nos stades, etc.

En effet, c’est seule l’histoire qui peut valablement et durablement consacrer l’immortalité d’un homme tel que nous enseigne la sagesse de la Bible (cf. Ecclésiaste, ch. 2).

En quinze ans de règne sans partage, entouré la plupart de temps d’autres « hommes-seuls » nommés par vous, souvent ne représentant qu’eux-mêmes, parfois étrangers à notre pays, Vous nous avez amené à travers un tunnel dont Vous êtes le seul à entrevoir le bout dans un véritable gouffre.

Pis, en refusant systématiquement, par toutes sortes d’artifices, de démocratiser réellement le pays et les Institutions ; en imposant un unanimisme de façade qui ressemble de plus en plus à une paix de cimetière, vous avez interdit à notre Peuple le nécessaire apprentissage de la démocratie, de la libre et pacifique confrontation d’idées différentes dans un esprit d’émulation constructive.

La conséquence la plus visible à ce jour a été l’exil ou le recours aux armes pour bon nombre de nos compatriotes comme seul moyen d’expression politique. Mais, la pire conséquence de votre régime éteignoir de la démocratie, c’est qu’après Vous, le pays risque de connaître un chaos politique et social plus grand encore que celui auquel votre avènement prétend avoir mis fin, le Peuple n’ayant plus été habitué à participer à un débat contradic­toire et les élites n’ayant guère appris à confronter leurs vues paisi­blement et à dialoguer avec leurs Peuples.

Peut-être avez-Vous encore le temps d’infléchir le cours des événements dans un sens favorable.

Citoyen Président-Fondateur,

Le Zaïre appartient aux 25 millions de Zaïrois. Les millions que nous croyons représenter légitimement ou qui sympathisent avec nous, sont d’avis qu’un changement profond et immédiat doit s’opérer dans notre société, avant qu’il ne soit trop tard.

Ce changement implique la refonte complète des structures du pays, la jouissance effective de toutes les libertés politiques et démocratiques, principalement la liberté d’association et la liberté de Presse.

Pour être valables et durables, ces réformes ne peuvent interve­nir qu’à l’issue d’un débat national réunissant autour d’une même table non seulement les élus du Peuple, mais aussi les représentants des différentes opinions politiques où qu’ils se trouvent, dési­gnés librement par les groupes qui les délèguent.

Mais, d’ores et déjà, nous avons la certitude que si le Pouvoir les laissait s’exprimer librement, l’immense majorité de nos compa­triotes réclameraient, par leurs Délégués, une réforme politique profonde mettant en œuvre les principes suivants :

  • La raison d’être de l’État zaïrois, c’est l’épanouissement et le bonheur, non pas d’une poignée d’hommes, mais de tous les Zaïrois ;
  • Tout Zaïrois doit être réellement protégé dans sa personne et dans ses biens contre l’arbitraire du pouvoir ;
  • La Constitution et les lois du Zaïre doivent s’imposer effective­ment à chacun, quels que soient sa fonction et son rang social ;
  • L’organisation politique de notre Pays doit reposer sur un con­sensus réel (et non seulement déclaré) de notre Peuple et répondre aux aspirations profondes de nos masses. Cela n’est possible que s’il s’instaure au Zaïre une démocratie effective ;
  • La démocratie ne deviendra effective au Zaïre que si la représentation de notre Peuple dans les organes politiques de l’État s’opère par des personnes librement élues par le Peuple ;
  • Il faut que cessent la centralisation à outrance et la concentra­tion des pouvoirs entre les mains d’une seule personne ;
  • Les pouvoirs doivent être répartis, avec des rôles précis, entre les différents organes Politiques de l’État, dans le cadre que fixera la Constitution ;
  • De la base au plus haut sommet, le contrôle de tous les orga­nes de l’État doit être organisé de manière à devenir effectif et efficace ;
  • L’Exécutif en son entier doit être soumis à un contrôle réel du Conseil Législatif, organe élu du Peuple (notons, à ce propos, que tout homme de bonne foi doit reconnaître que le Conseil Législatif s’est trouvé soutenu à fond par l’opinion publique lorsque cet organe s’est appliqué à exercer sur les Membres de l’Exécutif son pouvoir normal et constitutionnel de contrôle).
  • La démocratisation réelle du régime et la sauvegarde effective des droits humains postulent la libéralisation dans le domaine des « Mass Médias ». La Presse, la radio et la télévision zaïroise doivent être au service de tous les Zaïrois. Pour qu’elles cessent d’être au service d’une oligarchie, il faut un pluralisme dans les « Mass Médias ». D’autre part, le mensonge ne peut être combattu que par la contradiction, ce qui justifie aussi l’instauration de ce pluralisme.

Les rédacteurs

  1. Anaclet Makanda Mpinga Shambuyi du Kasaï Oriental
  2. Joseph Ngalula Mpanda Njila du Kasaï Oriental
  3. Étienne Tshisekedi wa Mulumba du Kasaï Oriental

Les signataires

 Etienne Tshisekedi                                                                            Anaclet Makanda

Protais Lumbu                                                                                    Kasala Kalamba

Gabriel Kyungu wa Kumwanza                                                         Paul Kapita

François Lusanga                                                                               Isidore Kanana

Charles Dia Onken                                                                            Ngoy Mukendi

Biringanine Mugaruga Gabriel                                                         Joseph Ngalula

Mbombo Lona

Les signataires par ordre alphabétique

  1. Gabriel Biringanine Mugaruga du Kivu
  2. Charles Dia Oken-a-Mbel de Bandundu
  3. François Lusanga Ngiele du Katanga
  4. Paul-Gabriel Kapita Shabangi du Kasaï Occidental
  5. Walter Isidore Kanana Tshiongo a Minanga du Kasaï Oriental
  6. Célestin Kasala Kalamba ka Buadi du Kasaï Occidental
  7. Oliveira da Silva Antoine Gabriel Kyungu wa ku Mwanza du Katanga
  8. Protais Lumbu Maloba Ndibu du Katanga
  9. Anaclet Makanda Mpinga Shambuyi du Kasaï Oriental
  10. Symphorien Mbombo Lona du Kasaï Occidental
  11. Joseph Ngalula Mpanda Njila du Kasaï Oriental
  12. Edmond Ngoyi Mukendi Muya Mpandi du Kasaï Occidental
  13. Etienne Tshisekedi wa Mulumba du Kasaï Oriental
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