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Ouganda : La victoire de Museveni enterre les dernières illusions de la démocratie électorale

Par Maria Malagardis

La réélection samedi du président ougandais à l’issue d’une campagne marquée par une forte répression contre l’opposition confirme une tendance inquiétante en Afrique : la perte de crédibilité du vote, perçu uniquement comme un moyen de maintenir les mêmes personnes au pouvoir.

« Tulonde !» (« allons voter » en luganda). C’est le titre de la dernière chanson de Bobi Wine, dévoilée début janvier. Lors des élections qui ont eu lieu jeudi en Ouganda, cet artiste très populaire de 38 ans était le principal opposant de l’homme fort du pays, Yoweri Museveni, 76 ans, dont trente-cinq au pouvoir. Grâce aux réseaux sociaux, le monde entier a pu observer l’implacable répression qui a visé le camp de l’audacieux challenger maintes fois frappé, ciblé par des tirs ou menacé par l’appareil policier du vieux président. Le seul qu’ont connu les Ougandais de moins de 30 ans, soit 80% de la population. Puis deux jours avant le scrutin, Internet a été coupé. Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Et c’est sans surprise qu’on apprenait samedi que Museveni était déclaré vainqueur officiel avec 58,6% des voix contre 34,8% attribuées à Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi.

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Malgré la censure numérique, ce dernier a réussi à faire savoir qu’il s’opposerait par voie légale à ces scores jugés tronqués par ses partisans. Mais ce week-end, Bobi Wine et sa femme demeuraient isolés, privés de nourriture, dans leur maison bloquée par un important dispositif militaire à la périphérie de Kampala, la capitale. Ce n’est pas la première fois que Museveni est soupçonné de tricher aux élections. Ce n’est pas la première fois non plus qu’Internet y est coupé à la veille d’une présidentielle. Et ce n’est certainement pas la première fois que le régime en place déverse généreusement d’importantes sommes d’argent pour « convaincre » une partie des électeurs dans un pays où plus de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Rouleau compresseur

Mais cette fois-ci, la personnalité charismatique du principal opposant, faisant preuve d’un courage inouï face aux forces de l’ordre, a donné à ce duel électoral une visibilité particulière. Reste que Bobi Wine « ne pouvait pas » gagner face à un appareil d’Etat clientéliste aux mains des proches du Président, dont la femme est ministre de l’Education et le fils à la tête des forces spéciales. Seule la violence au grand jour de la répression a été une surprise, consacrant ouvertement une démocratie électorale de façade. Une fois de plus.

Car en Afrique, la même absence de consensus sur le processus électoral a été observée en octobre lors des élections en Côte-d’Ivoire, avec des opposants emprisonnés et des violences qui ont fait 85 morts. Même le Ghana voisin, longtemps considéré comme un modèle de démocratie, n’a pas échappé lors du scrutin du 11 décembre aux accusations de résultats faussés.

Et si le vote semble en apparence s’être mieux déroulé en Centrafrique et au Niger, le 27 décembre, les opposants savaient eux aussi d’avance qu’ils n’avaient aucune chance face au rouleau compresseur d’un appareil d’Etat entièrement aux mains du régime en place.

Hélas, on peut également parier que les prochains scrutins qui se dérouleront cette année au Congo Brazzaville ou au Tchad se concluront, là encore sans surprise, par un énième CDD pour Denis Sassou-Nguesso et Idriss Déby, qui cumulent respectivement trente-deux et trente ans au pouvoir dans des pays pourtant ruinés.

Farces électorales

Reste à savoir quelles leçons finiront par tirer les électeurs abusés et malmenés face à ces farces électorales. Ironiquement, l’issue des élections ougandaises a été connue ce week-end alors qu’on commémorait les 60 ans de l’assassinat de Patrice Lumumba, jeune Premier ministre charismatique alors à la tête de l’immense Congo. La violence réussit toujours à faire taire les leaders courageux ou atypiques tout comme leurs partisans.

Mais la jeunesse africaine observe désormais le monde à travers la lucarne des smartphones et n’accepte plus aussi facilement que ses aînés de se soumettre à une vie au rabais. Dès lors, sur ce continent, le plus jeune du monde, le seul choix qui reste est soit l’immigration pour fuir l’intolérance, soit le recours à la rébellion ouverte. La « raison du plus fort » peut bien être la meilleure, ce n’est qu’à court terme. Et la victime immédiate de cette stratégie, c’est l’élection qui n’inspire plus confiance.

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