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Centrafrique : Touadéra réélu à la tête d’un pays déchiré

CONTEXTE. Le président rempile pour un autre mandat avec 53,92 % des voix. Une tâche titanesque l’attend alors que le pays est sous pression des groupes armés.

C’est maintenant que tout commence en Centrafrique. Le président sortant Faustin-Archange Touadéra a été déclaré vainqueur de la présidentielle du 27 décembre, avec 53,92 % des voix, par l’Autorité nationale des élections (ANE). Une victoire ou plutôt un coup KO qu’il a réussi alors qu’un électeur sur deux n’a pas pu voter. Un immense défi attend ce professeur de mathématiques, diplômé de l’université de Lille, dans le nord de la France, d’un doctorat d’État à Yaoundé, au Cameroun : relever un pays et une population meurtris par la guerre civile, une économie totalement détruite, et regagner un immense territoire sous la coupe des groupes armés. La situation risque de ne pas être facile dans les prochaines semaines.

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Les contestations pleuvent déjà

Un signe qui ne trompe pas au sujet de cette atmosphère bien particulière, les rues de la capitale Bangui sont restées calmes après l’annonce de cette victoire en direct à la radio. Seulement une centaine de personnes se sont rassemblées devant le siège du Mouvement cœurs unis (MCU), le parti du président, relate l’Agence France-Presse. « Je suis content pour mon pays, j’ai voté pour la paix », a confié Fred, un fervent partisan. Et la suite s’annonce tout aussi compliquée puisque ces résultats doivent encore être validés par la Cour constitutionnelle après des recours contentieux que l’opposition a déjà annoncés, elle qui parle de « fraudes massives » et d’innombrables électeurs laissés pour compte. En effet, le chef de l’État sortant l’a emporté face à une opposition dispersée entre 16 candidats, l’ancien Premier ministre Anicet Georges Dologuélé n’arrivant deuxième qu’avec 21,01 % des suffrages exprimés.

Le taux de participation, qui devait légitimer véritablement un second mandat du chef de l’État élu une première fois en 2016, a été annoncé à 76,31 %, mais sur quelque 910 000 électeurs pris en compte alors qu’initialement 1,8 million étaient inscrits. « Nous avons comptabilisé les bulletins dans 2 560 bureaux où le vote a pu effectivement avoir lieu, sur un total de 5 448. Dans les autres, le vote n’a pas pu avoir lieu ou bien les bulletins ont été détruits », a expliqué à l’AFP Théophile Momokoama, rapporteur général de l’ANE.

Les résultats des législatives, qui ont eu lieu le même jour, n’avaient pas encore été annoncés lundi soir. « C’est une farce, il y a eu de nombreuses irrégularités et fraudes », a déclaré le candidat Dologuélé à l’AFP aussitôt après l’annonce de la victoire de Faustin-Archange Touadéra, assurant, comme d’autres candidats, qu’il allait introduire un recours contentieux devant la Cour constitutionnelle qui doit valider les résultats de l’ANE avant le 19 janvier. Dans la matinée, neuf candidats avaient dénoncé dans une lettre à l’ANE, outre le fait que « de nombreux Centrafricains » n’ont pas pu voter, « des bourrages massifs des urnes ».

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François Bozizé, dans le viseur de la justice

Il faut dire que ces élections se sont déroulées dans un pays où une guerre civile très meurtrière, commencée en 2013, avait considérablement baissé d’intensité depuis 2018, mais en proie à une nouvelle offensive de rebelles décidés à empêcher les élections. Le 19 décembre, une coalition des principaux groupes armés qui se partagent les deux tiers du pays avait ainsi juré de « prendre le contrôle de tout le territoire ». Le président Touadéra avait immédiatement dénoncé une « tentative de coup d’État » sous les ordres de François Bozizé, l’ex-président renversé en 2013 et dont la candidature à la présidentielle avait été invalidée deux semaines plus tôt par la Cour constitutionnelle.

Selon les analystes, François Bozizé, qui apparaissait comme le seul à pouvoir mettre en danger une réélection de M. Touadéra, avait d’abord nié toute collusion avec la coalition rebelle, avant de lui apporter publiquement son soutien le jour du scrutin. Lundi, le parquet de Bangui a annoncé l’ouverture d’une enquête contre l’ex-président notamment pour « rébellions ».

Les groupes armés maintiennent la pression

Plus de deux semaines après l’annonce de leur offensive, les groupes armés n’ont quasiment pas gagné de terrain, selon la mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca) et les autorités, face au déploiement des forces de sécurité, des Casques bleus de l’ONU et de centaines de renforts lourdement équipés – principalement des paramilitaires russes dépêchés après l’annonce des rebelles par Moscou et des forces spéciales rwandaises.

Les groupes armés ont çà et là attaqué et pris des villes enclavées sur les territoires qu’ils occupent et où étaient installées des autorités locales sous la protection de la Minusca, mais relativement loin de Bangui. Certaines ont été reprises rapidement par les Casques bleus ou les combattants rwandais ou russes, mais souvent à plusieurs centaines de kilomètres de Bangui.

Dimanche, cependant, un groupe armé s’était emparé de Bangassou, une ville de quelque 30 000 habitants à 750 km à l’est de Bangui. Mais, lundi, la Minusca a assuré qu’elle en partageait le contrôle avec les rebelles, « toujours présents », après avoir « sécurisé les bâtiments publics » et mis en sécurité « les civils et les représentants des autorités locales ».

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Touadéra, la paix à tout prix ?

Devant l’urgence, Faustin-Archange Touadéra a commencé à afficher un nouveau visage. Connu comme un président souriant et proche de son peuple, qui n’hésite pas à se prêter aux bains de foule, ce n’est qu’à l’approche de l’élection que le natif de Damara, à 60 km au nord de Bangui, a tapé du poing sur la table notamment vis-à-vis de son ancien mentor, l’ex-président François Bozizé, dont il fut le Premier ministre jusqu’en 2013. Naïf ou cynique, selon ses ennemis, épris de paix, selon ses partisans, Touadéra a conclu un accord de paix en 2019 à Khartoum avec les 14 groupes armés, intégrant des chefs de guerre au gouvernement ou à l’administration.

Un « accord de dupes » pour l’opposition. Près de deux ans plus tard, trois des principaux groupes signataires, qui contrôlent toujours les deux tiers du pays, tentent de marcher sur Bangui pour le renverser, et les autres continuent de se disputer les richesses minérales de la Centrafrique en menant sporadiquement des attaques contre les civils et l’armée. Les partisans de ce président de 63 ans ne manquent pas d’égrener des réalisations, largement financées par la communauté internationale : reconstruction de l’armée, l’éducation passée de 8 à 14 % des dépenses du budget, gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants jusqu’à 5 ans, paiement plus régulier des fonctionnaires… « La Centrafrique revient de loin, le président Touadéra est en train de redresser ce pays », assure Éric Sorongope, dirigeant d’un parti de la majorité.

Mais ce bilan ne lui a jamais permis de gagner les cœurs d’une frange importante de la population du deuxième pays le plus pauvre du monde, selon l’ONU, et qui endure depuis des décennies coups d’État, régimes autoritaires et guerres civiles. « Touadéra a un profil technocratique, ce n’est pas un politicien », avance Hans de Marie Heungoup, spécialiste de la Centrafrique à l’International Crisis Group (ICG).

Sans base électorale avant 2016, il est soutenu par un parti monté de toutes pièces en 2018 seulement, qui a fédéré une quarantaine de mouvements. « L’un des défauts fondamentaux de Touadéra, c’est qu’il ne sait pas décider », juge un diplomate étranger, ajoutant : « Quand un dossier est compliqué, il le repousse aux calendes grecques. Il est allergique à l’arbitrage, et entouré de gens qui lui ressemblent. »

Se présentant comme un « homme de paix » face aux chefs de guerre, il a donc opté pour le dialogue et signé l’accord avec les groupes armés. Cela lui a aliéné une partie importante de la population exposée à leurs exactions. « Cet accord a fragilisé le président », analyse Thierry Vircoulon, expert de l’Afrique centrale à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

D’un autre côté, dans un pays lassé par les conflits, une partie de la population apprécie la constance du président, qui n’a jamais dévié de sa politique de la main tendue. Et lui sait gré de l’indéniable accalmie dans les combats depuis bientôt trois ans. Mais il a montré peu d’empressement à endiguer la corruption endémique, accuse l’opposition. « De multiples scandales de corruption et de gouvernance concernant certains ministres ont entaché son mandat. Quand bien même vous voulez faire dans le technocratique, encore faut-il une gestion efficiente », rappelle Hans de Marie Heungoup.

Ses opposants, mais aussi Paris qui voit d’un mauvais œil sa perte d’influence dans son ancien pré carré, estiment aussi que Faustin-Archange Touadéra s’est trop rapproché de Moscou, au point de livrer à des groupes russes des pans entiers des ressources naturelles, notamment le diamant et l’or.

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