samedi, décembre 14, 2024
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Zimbabwe : Mugabe, la fin du despote

REPORTAGE. Liesse. Le vieux président a pris tout le monde de court en annonçant, mardi, sa démission. Les Zimbabwéens ont enfin laissé éclater leur joie.

PAR CLAIRE MEYNIAL

Tout à coup, c’est une clameur qui monte, magique, jaillie de mille poitrines comme d’une seule, de partout, mêlée au concert de klaxons, de vuvuzelas et de sifflets. Il est 17 h 50, une lumière dorée descend entre les immeubles vieillots de l’avenue Samora-Machel, l’artère principale d’Harare, en ce premier jour de vrai beau temps depuis une semaine. Ce 21 novembre 2017, Robert Mugabe, le plus vieux président du monde, qui dirige le Zimbabwe d’une main de fer depuis trente-sept ans, vient de démissionner.

© AFP Accueilli en libérateur à l’indépendance en 1980, le « camarade Bob » a dirigé son pays d’une main de fer. © AFP

Une procédure de destitution décisive

Devant leur boutique de tailleur, les bras croisés sur la poitrine, six employées se tiennent prudemment devant la porte : « Qu’est-ce qui se passe ? Hein ? Il a démissionné ? Vraiment ? » Leurs visages s’éclairent, elles éclatent de rire, incrédules, elles applaudissent. Deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre en bas de leur bureau, un couple danse sur le trottoir. Des drapeaux apparaissent comme par miracle aux fenêtres des voitures, on se félicite, on s’embrasse, on demande tous les deux mètres un selfie à la Blanche qu’on prend pour une Zimbabwéenne. « Sister, vous aussi vous allez faire la fête ? » Un passant hurle : « Enfin, on attendait ça depuis tellement longtemps ! » Seul un homme hoche la tête en jetant des regards inquiets : « Je ne sais pas si je suis heureux, j’attends de voir. Je ne sais pas ce qui peut se passer ensuite. »

C’est au centre de conférences Rainbow Towers que se tenait le débat du Parlement et du Sénat sur la recevabilité d’une motion de destitution de Mugabe. La procédure avait été déposée, comme prévu, l’après-midi même au Parlement. Bright Matonga, ancien vice-ministre de l’Information, raconte : « On était en plein débat, Kudzaï Chipanga était en train de dire que Mugabe était devenu incapable d’occuper ses fonctions, qu’il ne contrôlait plus le pouvoir, qu’il s’endormait en réunion, qu’il fallait vraiment qu’il parte.

Et là, le speaker, Jacob Mudenda, nous a demandé de nous arrêter. Il avait reçu la lettre de démission de Mugabe, il nous l’a lue ». Aujourd’hui, tout le monde pensait qu’un long et pénible processus venait de s’amorcer, qu’au vote de la motion succéderait la formation d’un comité qui établirait la liste des allégations retenues contre Mugabe, lequel aurait le temps de se défendre, avant que la destitution ne soit votée.

© Reuters Au sein même du Parlement, les élus ont laissé éclater leur joie. © Reuters

L’ultime provocation de Mugabe

Depuis lundi, le doute s’était installé quand l’armée avait publié un communiqué expliquant qu’elle travaillait à une « feuille de route » avec Mugabe pour résoudre les problèmes du pays, et incitant chacun à se garder de toute action pouvant troubler la paix. Avait-elle changé d’avis ? Lâché le peuple ? Cette procédure de destitution pouvait-elle durer jusqu’au congrès de la Zanu-PF en décembre ? Mugabe avait laissé entendre lors de sa pénible apparition à la télévision dimanche soir qu’il le présiderait… Les élus, pas plus au fait des tractations de l’armée que la population, n’auront pas eu le temps d’éclaircir la question.

Criant, debout sur les tables, ils ont à peine laissé Mudenda lire sa lettre : « Moi, Robert Gabriel Mugabe, selon les termes de la section 96, sub-section 1 de la Constitution du Zimbabwe, je donne ici formellement ma démission en tant que président de la République du Zimbabwe, avec effet immédiat. Ma décision a été prise librement et vient de mon souci du peuple du Zimbabwe et de mon désir d’assurer un transfert en douceur, pacifique et non violent du pouvoir qui assure la sécurité, la paix et la stabilité nationales. Ayez l’obligeance de rendre ma démission publique le plus tôt possible, comme demandé par la section 96, sous-section 1 de la Constitution du Zimbabwe. Sincèrement, Robert Gabriel Mugabe, président de la République du Zimbabwe ».

© AFP/Marco Longari C’est la fin d’un long règne. Le président zimbabwéen Robert Mugabe a remis sa démission après 37 ans de pouvoir.

Pour la dernière fois, Mugabe aura pris tout le monde de court. « Je pense que la pression a fini par devenir trop forte », analyse Faraï Mawungu, analyste et directeur du Centre pour la gouvernance des ressources naturelles. Le communiqué de l’armée lundi soir indiquait qu’Emmerson Mnangagwa, l’ancien vice-président dont l’éviction a motivé l’intervention militaire du 14 novembre, désigné pour succéder à Mugabe à la tête du parti de la Zanu-PF et fortement recommandé pour la présidence du pays, devait revenir au Zimbabwe sous peu.

Il devait y rencontrer Mugabe. Ce matin, Mnangagwa a fait savoir qu’il ne rentrerait pas tant que sa sécurité ne serait pas assurée. « C’était la dernière carte de Mugabe, estime Faraï Mawungu. Il aurait réinstallé Mnangagwa au poste de vice-président de la Zanu-PF pour qu’il puisse devenir légalement premier secrétaire lors du congrès du parti mi-décembre. Ça lui laissait le temps de manigancer des tas de choses en cinq semaines. »

Zimbabwe

L’armée, par ailleurs, avait sorti l’artillerie lourde : « Elle lui a montré qu’elle pouvait le tuer si elle le voulait, en déployant ses blindés. Il était en résidence surveillée, la procédure de destitution était amorcée et une immense manifestation devait se tenir mercredi. » Acculé, privé de monnaie d’échange, Mugabe a fini par céder.

Certains murmurent que le moral du tyran fatigué, qui tient à peine debout, avait plongé, qu’il refusait de se nourrir et de se laver. Mais, à presque 94 ans, il a tenu tête à l’armée pendant sept jours et l’a forcée à imaginer un dispositif à plusieurs étages. Selon Davis Jr. Mukushwa, analyste et militant de la National Electoral Reform Agenda, « Mugabe avait probablement passé un accord avec l’armée pour éviter la destitution, la pire humiliation pour un dictateur : réinstaller Mnangagwa, pour une transition en décembre.

Ça expliquerait ce qu’il a lu à la télévision », où pas un instant il n’a mentionné qu’il quitterait le pouvoir. Jusqu’au bout, Mugabe a pensé qu’il pourrait être épargné. « Il a convoqué un conseil des ministres le matin pour les convaincre de ne pas siéger à la session parlementaire qui déposerait la motion de destitution, lui, le grand manipulateur. Il lui en aurait fallu 18, or seuls 4 sont allés à ce conseil. Ça s’est joué sur ce détail technique. Le Parlement n’aurait pu se réunir à nouveau qu’après avec le départ de Jacob Zuma (président de l’Afrique du Sud), qui allait venir pour une médiation mercredi. Qui sait s’il aurait démissionné ensuite ? »

© AFP Le président du Zimbabwe Robert Mugabe (G) et son épouse Grace Mugabe (D) à Harare le 14 novembre 2017. © AFP

L’armée en sauveur

À l’entrée, les honorables gardiens en costume s’inquiètent de voir le hall pris d’assaut. Ils en ont pour la nuit. Les tee-shirts blancs siglés « A New Era » (« une nouvelle ère »), devenus les inévitables accompagnateurs de la chute des dictateurs, ont fleuri en quelques heures, plus vite encore que les tee-shirts « Gambia Has Decided » (« La Gambie a décidé ») à Banjul en janvier dernier, lors du départ de Yahya Jammeh.

David Maramba, 37 ans, suant à force de hurler, porte une pancarte à la gloire de Mnangagwa : « Ce soir, on est heureux ! Maintenant, on attend notre père (Mnangagwa). On n’a pas d’argent, pas de nourriture, pas d’eau potable, pas d’éducation, pas de boulot, on va travailler en Afrique du Sud. Il va changer tout ça, en 24 heures ! » À côté, un gars enrôlé dans un drapeau vocifère : « Bonne année ! » Une voiture garée devant l’entrée diffuse à plein tube des chansons aux paroles fleuries, dont on se demande qui a pris le risque de les composer avant la fin de l’histoire : « Grace est une pute, elle doit rendre ses enfants à leurs vrais pères, Mugabe est un impuissant. »

© AFP/Marco Longari

L’avenir avec Emmerson Mnangagwa

Dans les grandes artères de la capitale vidée à cette heure, beaucoup sont restés pour laisser éclater leur joie. Sharon, 29 ans, longues tresses sur une robe blanche, master en management du risque en poche mais qui n’a jamais trouvé de travail, regarde la foule monter sur les camions de militaires pour les acclamer, avec trois copines : « On veut du boulot, des investisseurs, la liberté d’expression, de la presse, la démocratie ! ».

À côté, son amie renchérit : « Et on veut du cash, surtout, on ne peut rien retirer à la banque ! » Sharon reprend : « Maintenant, on a de l’espoir, on veut que ça change. Oui, on a peur de passer d’un tyran à un autre, mais Mnangagwa est axé sur les affaires. De toute façon, pour l’instant, tout ce qui n’est pas Mugabe nous va. On verra ce que l’avenir nous réserve. » Vestige d’une attitude qui avait encore cours il y a une semaine, un homme leur intime de ne pas répondre à une journaliste. « Va-t’en, laisse-nous parler, on fait ce qu’on veut, c’est fini tout ça », répondent-elles. Plus haut sur l’avenue Samora-Machel, devant le palais de justice, deux Blancs ont sorti des bières de leur voiture.

« On avait 11 ans quand madame Mitchell, la maîtresse, est venue nous dire qu’un monsieur Mugabe avait été élu et que c’était un choc. Il nous faisait peur », se souvient Dave. Il enlace sa femme, l’embrasse, il ne veut plus parler : « Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est arrivé par la violence et a appliqué cette violence pendant trente-sept ans. » Bryan, à côté, sourit alors qu’on vient de lui voler son portefeuille. « Nous sommes le pays le plus pacifique et le moins raciste du monde », assure-t-il. Pour le prouver, il interpelle un gaillard noir qui passe à côté, lui adresse un tonitruant « Macorokoto ! » (« Félicitations », en shona). L’autre le prend dans ses bras, lui tape dans le dos, s’en va.

© IMAGO/BELGA Robert Mugabe sera remplacé par l’ancien vice-président Emmerson Mnangagwa, désigné par le parti au pouvoir. Harare, le 19 novembre 2017.« Les divisions sont créées par les dirigeants. Les 15 premières années, Mugabe était populaire, mais, à partir de 1995, sa cote a baissé, et c’est là qu’il a sorti sa carte maîtresse : nous. C’est vraiment une nouvelle ère, j’ai vécu trente-sept ans sous son pouvoir, j’ai toujours entendu parler de lui. En dire du mal était illégal, ça vous valait une sérieuse bastonnade ou, plus souvent, la prison. » Euphorique, le pays va se coucher sans chef de l’État. Le parti aussi. La constitution de la Zanu-PF prévoit qu’en cas de démission du premier secrétaire une élection doit être organisée dans les 90 jours. Emmerson Mnangagwa est attendu comme le Messie. Mais rien ne garantit que l’homme, réputé pour sa cruauté et arrivé au pouvoir grâce à l’armée, ne sera pas aussi despotique que son ancien mentor. Peu importe. Ce soir, le Zimbabwe vit enfin son rêve. Sans penser à demain.

Lire l’article ici : http://afrique.lepoint.fr/actualites/zimbabwe-mugabe-la-fin-du-despote-page-2-22-11-2017-2174160_2365.php

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