On ne reconnait les mérites de certaines personnes qu’après leur disparition dit un adage. Depuis le 1er février et le décès d’Etienne Tshisekedi, des milliers des pages ont été noircis d’écrits en tous genres.
Un ami écrit ceci sur sa page Facebook : « Il a su galvaniser les foules en quête de liberté. Il a su redonner espoir à une population épuisée par des décennies de dictature et de violation des droits et libertés. Homme de conviction, aux choix souvent incompris, sa mort sera le prélude d’une nouvelle ère d’espérance pour notre chère nation et la manifestation d’une prise de conscience collective: celle du refus de l’aliénation et de la peur, celle du retour aux valeurs de l’intégrité et de l’amour de la patrie, celle du rejet du modèle de médiocrité fondé sur l’appât du gain facile…Qu’on l’aime ou non, Étienne TSHISEKEDI aura marqué de son empreinte l’histoire des 30 dernières années de la RDC. Une page se tourne sans être oubliée. Une autre s’ouvre pour une nouvelle génération de leaders responsables qui, je le crois, matérialiseront l’idéal défendu par ce Héros de la Nation« .
En jeune journaliste j’ai eu aussi cette chance de côtoyer des rares de fois l’homme politique, mais aussi certains de ses proches. Le journaliste étant un historien du présent, dans mon bouquin à paraître bientôt CONGO – ZAIRE, 24 avril 1990-17 mai 1997, L’INSAISISSABLE DÉMOCRATIE, Périls d’une Transition; je vous livre quelques-unes des meilleures pages qui parlent de ma perception de Tshisekedi en tant que l’homme politique. De l’Union sacrée de l’Opposition radicale des années 1990 au Rassemblement de l’Opposition de 2016, de la Négociation du Palais de Marbre et l’Accord qui porte le même nom et celle directe sous l’égide de la CENCO et son Accord politique Global Inclusif; aucune différence…
Roger DIKU
Les pages du livre…
LE CREDO DE TSHISEKEDI
Bien de gens de l’intérieur comme de l’extérieur du Congo-Zaïre se demande aujourd’hui encore ce qui attache le Peuple congolais à Etienne Tshisekedi Wa Mulumba. La popularité de cet homme et l’engagement des masses derrière lui tiennent de la force du symbole que représente à leurs yeux, la lutte menée par le leader de l’UDPS et ses compagnons contre Mobutu et son clan.
Le chef de file de l’opposition radicale est l’un des rares politiciens demeurés constants dans sa position face à Mobutu au point de paraître radical. Il s’opposera à Mobutu et à toutes les tentatives de gouverner en dehors d’un cadre juridique qui régisse le pays et détermine la bonne gouvernance.
Pendant plus de quinze ans de lutte politique contre Mobutu dont dix dans la clandestinité, son raisonnement était resté le même : Mobutu est la cause de tous les maux dont souffre le Zaïre, son départ de Mobutu des affaires de l’État était la seule issue pour une réelle démocratisation au Congo Zaïre. Considéré à juste titre comme le plus coriace et le plus irréductible des opposants à Mobutu, cet octogénaire né un certain 14 décembre 1932 à Luluabourg (actuel Kananga) dans la province du Kasaï Occidental fut le premier Docteur congolais en Droit sans Thèse, sorti de l’Université Lovanium (actuellement Université de Kinshasa) en 1961 à Léopoldville (Kinshasa)…
Son élection au poste de Premier ministre par la CNS était parmi les actes les plus importants de la tenue des Assises de ce forum national. Elle concrétisait les espoirs d’une transition vers des jours meilleurs tant attendus par l’ensemble du peuple congolais. Comme suite logique à cette élection, Tshisekedi paraissait comme le seul homme capable de poursuivre sur la voie de la démocratisation et de poser des actes susceptibles de ramener la coopération internationale dont le pays avait tant besoin pour redécoller.
Nommé une première fois à ce même poste le 22 juillet 1991, il jugera bon de décliner l’offre, autant à cause de la procédure de nomination que contrainte par la pression de la rue. Il sera nommé une deuxième fois le 28 septembre de la même année après la mutinerie de l’armée (23 et 24 septembre 1991) suivant les Accords dits du Palais de Marbre 1. Mais, pour avoir biffé sur l’acte de nomination, la mention «le Président de la République garant de la Constitution et de l’unité nationale», il sera révoqué quelques jours plus tard. Cette révocation constituait en fait une violation flagrante desdits Accords. Mobutu ne pouvait pas révoquer Tshisekedi unilatéralement, celui-ci ayant été désigné par consensus à l’issu du conclave des partis politiques tenu au Centre Catholique Nganda de Kinshasa dans la commune de Kintambo…
Lors de la première nomination refusée, Tshisekedi avait été appelé dans le souci d’une décrispation politique en vue de poursuivre le processus démocratique et le redressement de l’économie du pays dans la paix, l’unité et la concorde, avait annoncé Mobutu. Mais pour la plate-forme de l’opposition radicale qui venait de terminer son premier conclave à l’issue de trois jours (16, 17 et 18 juillet 1991) de débats en la Salle du Zoo, il n’était pas question de participer à un quelconque gouvernement non issu de la Conférence nationale.
Le mois d’août 1993 lui donnera une nouvelle dimension : sa désignation comme Chef de file de toute l’opposition réunie : Union sacrée de l’opposition radicale (USOR), Front Uni de l’opposition (FUO), Collectif Progressiste (CP) de Lambert Mende Omalanga, l’AFICI de Joseph Nsinga Udjuu, l’Union Sacrée Libérale de Jean Nguz, les Forces combattantes, les Indépendants et le Cartel des 18. Ce choix consacrait également la constance dans la lutte contre la dictature, le respect des valeurs démocratiques ainsi que le crédit dont il jouissait auprès de la population nationale. L’opposition, toutes tendances confondues reconnaissait ainsi en Etienne Tshisekedi le seul leader capable de guider la lutte de tous pour venir à bout de Mobutu. Avec cette «désignation nomination» par ses pairs, on pensait la lutte pour le leadership politique finie entre les factions en présence. D’ailleurs, Mobutu lui-même n’avait-il pas déjà reconnu le charisme de Tshisekedi lorsqu’il l’avait appelé à la Primature dans le souci de décrisper la situation politique et redresser, dans la paix, l’économie du pays. Etienne Tshisekedi incarnait tout cela.
Dans le cadre d’un reportage, il m’avait été donné de rencontrer Tshisekedi, un personnage considéré énigmatique, unique en son genre devenu un «mythe vivant» pour ses concitoyens. Le mardi 17 septembre 1991 soit sept jours avant les pillages de l’armée de Mobutu (23 et 24 septembre), pour le compte du journal UMOJA je suis admis à l’entretien exclusif qu’il accordait après un long silence à la presse étrangère. Il s’agissait en l’occurrence, du correspondant de l’Agence Internationale de Télévision (AITV), filiale de Radio France d’Outre-mer -RFO-, le confrère Tharcisse-Henri Kasongo Mwema Y’Ambayamba.
Avec son franc parlé légendaire, le leader de l’UDPS donnait son point de vue sur le début des travaux de la CNS, sur ses relations avec Mobutu et sur le prochain gouvernement d’union nationale dont toute la ville parlait déjà. J’aurai l’opportunité de vérifier que non seulement l’homme restait pugnace, mais qu’il n’avait pas que des affabilités à l’endroit de Mobutu : «Un démocrate non contrôlé peut glisser vers la dictature, mais un dictateur ne deviendra jamais démocrate. Mobutu ne changera jamais, il continuera à semer la confusion dans l’esprit du peuple; son départ reste une nécessité pour sauver la démocratie…Sa seule réussite dans ce pays demeure la corruption et la terreur pour empêcher la vérité de s’exprimer avec spontanéité» déclarait-il à la presse quelques jours auparavant.
Tshisekedi n’avait jamais caché ses sentiments vis-à-vis de Mobutu qu’il considérait comme le véritable fossoyeur du pays. Mais il avait aussi une opinion claire de ce qu’est et doit être un démocrate. C’est en des termes crus qu’il dépeint son vieil adversaire qualifié de «monstre à visage humain, sans ami, ni dans sa propre famille ni auprès de ses propres enfants». Même ton de discours radical de la part de son épouse Marthe Kasalu. Celle que dans l’opposition et la population entières, tout le monde à Kinshasa comme dans le reste du pays appelle «affectueusement» maman Marthe, épouse du leader de l’UDPS depuis plus de 50 ans. Cette femme de caractère toujours souriante en a enduré dans les années de plomb sous Mobutu lorsque son mari était souvent arrêté et relégué dans les prisons de l’intérieur du pays. Notre première rencontre s’effectuera dans des circonstances particulières. Le lundi 20 octobre 1991 devant les portes scellées de la Primature, elle me déclarait : «un menteur n’est pas digne de se dire chef de l’État».
Cette boutade s’adressait à Mobutu qui la veille -soit le dimanche 19 octobre 1991- haranguant ses «ouailles» du MPR à N’Sele, affirmait que la famille Tshisekedi (Marthe et les enfants) avait fui en Belgique via le Congo Brazzaville pendant que son mari, le leader de l’opposition (Tshisekedi), appelait les enfants des autres à descendre dans la rue pour le soutenir dans sa lutte pour la reconquête du pouvoir. Vérification faite, à l’exception de leur belle-fille Blanchette Kibassa et sa fillette rentrées en Belgique où elles sont résidentes, la famille Tshisekedi ou ce qu’il en restait à Kinshasa avait passé un gai matin dominical dans leur maison de Limete et non à Bruxelles comme l’affirmait, pinces sans rire, Mobutu aux membres de son parti, en présence des caméras de la télévision nationale.
S’étant rendue de bon matin à la radiotélévision nationale, où une fin de non-recevoir lui avait été réservée alors qu’elle entendait exercer son droit de réponse à Mobutu, elle avait alors rejoint les nombreux sympathisants venus spontanément devant les bureaux de la Primature fermés et assiégés militairement, soutenir son mari limogé quelques jours auparavant de son poste de Premier ministre. Et Marthe Kasalu de poursuivre à l’endroit du président pris en flagrant délit de mensonge : «le peuple peut aujourd’hui juger qui de ma famille et de Mobutu a dit la vérité. Je suis ici présente à côté de vous et non en fuite en Europe comme le prétend le dictateur». C’est sur ces entrefaites et sous un soleil accablant, que j’eus à effectuer la course de fond de ma vie.
Comme si cette phrase était le signal attendu, les militaires se sont mis à tirer dans tous les sens. Les balles sifflaient au-dessus de ma tête. J’ai été me réfugier, en compagnie de mon confrère Emmanuel Murhula AmisiNashi du journal «Temps Nouveaux» dans la sacristie de l’église du Sacré Cœur, après avoir escaladé les grillages d’enceinte de l’ISP-Gombe. Le nombre de babouches, chaussures, chemises, pagnes et autres biens abandonnés par les fuyards témoignait de la violence avec laquelle la DSP et la Garde civile commandée par le «généralissime» Baramoto Kpama avaient conduit la dispersion des sympathisants du Premier ministre déchu.
Confiante en l’avenir de son pays et en «l’étoile» de son mari leader et symbole de l’opposition politique du Congo, elle devrait déclarer en février 1994 au journal UMOJA à l’occasion de l’un des anniversaires de leur mariage: «J’ai compris et pénétré, dans le courant de la lutte, le sens du combat d’Etienne; j’aime ce combat que je fais mien. Mais je m’en remets à Dieu jusqu’à la liberté totale de notre Peuple; je n’en veux à personne et je n’ai de haine envers quiconque. Le combat d’Etienne est une lutte pour la démocratie, pour l’avènement d’une ère de bonheur pour tous et pour chacun. Notre foi en Dieu devra nous permettre de triompher de toutes les adversités».
TSHISEKEDI FACE A MOBUTU
L’impitoyable affrontement. La cohabitation entre Tshisekedi et Mobutu du 24 avril 1990 au 16 mai 1997 ressemble à tous les ingrédients d’un long feuilleton à rebondissements. On savait que la crise politique du Congo Zaïre se nourrissait, en partie de l’affrontement et du duel entre deux hommes dont le caractère fondamental était la volonté de Tshisekedi de démystifier Mobutu pour mener le peuple à la libération et, de l’autre la détermination de Mobutu de durer au pouvoir en gouvernant le peuple dans la misère et la peur. Pourtant, le mariage de ce «couple impossible» fut à maintes reprises imposé par les circonstances.
D’abord en juillet 1991 à cause de la crise politique persistante et de la déconfiture de l’économie, puis en septembre1991 après la mutinerie de l’armée et les pillages, l’opposition et le pouvoir ayant trouvé un consensus pour la désignation d’un Premier ministre. En août 1992, après l’élection de Tshisekedi à la C.N.S comme Premier ministre Chef du gouvernement de Transition. Et enfin en avril 1997 lorsqu’il sera nommé Premier ministre en pleine «guerre de l’Est» menée par l’AFDL, laquelle trouvera son épilogue dans la fuite de Mobutu le vendredi 16 mai 1997 et la prise de Kinshasa par les troupes de Laurent Désiré Kabila le 17 mai 1997.
«Le combat que je mène depuis 12 ans pour l’instauration de la démocratie et de la liberté au Zaïre n’avait pas pour but de combattre un individu, mais d’éliminer un système qui a avili le pays. Dès lors que chacun s’engage à enterrer de façon sincère le système odieux de la Deuxième République, il n’y a aucune raison de ne pas nous réconcilier». Ces propos de Tshisekedi devant les Délégués du Peuple à la CNS sur le point d’élire le Premier ministre issu de ce forum auguraient-ils une nouvelle ère ?
Usant d’un ton modéré et d’accents tempérés tant à la présentation de sa candidature que pour commenter son triomphe, Tshisekedi avait surpris tout le monde par un discours consensuel, conciliant que l’on ne lui connaissait pas. Accordant certes, solennellement son pardon à tous ceux qui lui avaient fait du mal pendant ses dix ans de lutte pour la démocratie, pensant sans doute à Mobutu, il n’avait pas manqué de faire une promesse : celle «d’envisager un combat acharné contre les anti-valeurs de la Deuxième République dont la corruption et le mensonge érigés en méthode de gouvernement».
Appréciant certes l’engagement de Tshisekedi à se mettre au service de la Nation, Mobutu n’avait pas manqué d’assurer au nouveau Premier ministre sa franche collaboration pour une «transition que le peuple veut pacifique» (message de félicitations du Président de la République lu à la radio et à la télévision). Malgré le climat serein, le temps avait fini par montrer que Mobutu acceptait difficilement le rôle que lui conférait la transition : régner sans gouverner.
Mais comme on s’y attendait, c’est dans sa relation avec le chef de l’État que le nouveau Premier ministre allait rencontrer les plus importants obstacles à son action politique. La crise de fin d’année 1992 et le bras de fer qui s’en était suivit début 1993 en sont les preuves. L’ultimatum de Mobutu à Tshisekedi d’élargir son cabinet à ses hommes du MPR ou de son obédience et le refus du Premier ministre se référant au HCR-PT était une preuve de plus. La suite est connue : pillage de l’armée, révocation du Premier ministre Tshisekedi et désignation, par le Conclave du Palais de la Nation tenu du 09 au 18 mars 1993, de Faustin Birindwa comme formateur du nouveau gouvernement le 22 mars de la même année.
Transfuge de l’UDPS et d’origine rwandaise, cet ancien proche de Tshisekedi fut nommé sixième Premier ministre de la Transition en lieu et place de son chef de file au sein de l’opposition. Cet homme à l’allure frêle était suspecté depuis fort longtemps comme étant une taupe au service de Mobutu au sein de l’UDPS et de l’opposition radicale. Faustin Birindwa avait été fonctionnaire à la présidence de la République sous le long règne (10 ans) de l’inamovible et tout puissant Directeur du Bureau du chef de l’Etat, Rwigema Bisengimana.
D’origine rwandaise, Bisengimana, officiellement Directeur de Cabinet était en réalité «le Premier ministre de facto». C’est lui qui a fait et défait tous les gouvernements de dix premières années du pouvoir du dictateur. De mêmes origines que Bisengimana, Faustin Birindwa est quant à lui resté célèbre pour sa réforme monétaire qui ruina encore un pays déjà enfoncé dans les abîmes économiques en remplaçant «le zaïre monnaie» par son «nouveau Zaïre -NZ-». Marié à une italienne, Birindwa est mort en exil à Rome, en Italie, pays d’origine de son épouse. , C’était en avril 1999.
Pour revenir à Tshisekedi, personne n’était sans savoir que la présence au sein de son gouvernement des hommes de Mobutu devait constituer un boulet, une pesanteur à tous les efforts de redressement que pouvait entreprendre le gouvernement de Transition. Il fallait plutôt voir à cette confrontation d’autres raisons comme la neutralisation des forces armées et le contrôle des dépenses de l’État, en faisant cesser toutes les magouilles, par l’instauration d’un seul centre d’ordonnancement et de décision, c’est-à-dire le gouvernement.
La vraie cohabitation Mobutu-Tshisekedi ne pouvait être possible que dans une acceptation franche de part et d’autre, de la séparation des pouvoirs entre le Président et un Premier ministre réellement chef du gouvernement, c’est-à-dire exerçant tous les pouvoirs lui reconnus y compris sur l’armée, la sécurité et les finances. A ce propos, il s’agissait de veiller à ce que le ministre des Finances soit le centre d’ordonnancement c’est-à-dire de qui la Banque centrale reçoit des instructions et éviter son dédoublement par la présidence de la République comme c’était le cas avec les précédents gouvernements. C’est une telle cohabitation qu’exigeait Tshisekedi avant d’accepter de devenir le Premier ministre sous Mobutu.
Après la mutinerie et les pillages de l’armée les 23 et 24 septembre 1991, Tshisekedi est porté, par consensus entre les différentes familles politiques nationales, à la tête du gouvernement le 28 du même mois. Contrairement à sa nomination de juillet 1991, cette fois, il accepte. Mais, coup de théâtre, le jour de la prestation de serment de son équipe gouvernementale, le nouveau Premier ministre biffera sur le texte d’engagement, les mots « le Président de la République garant de la Constitution et de l’unité nationale » qui suivait l’énoncé de Mobutu.
Si la cérémonie solennelle de prestation de serment se passe sans interruption, la sanction tombera quelques jours plus tard. Tshisekedi est révoqué le 21 octobre 1991. Une nouvelle crise politique s’ouvre. Elle est d’autant plus grave que les positions entre les deux grandes familles politiques se radicalisent singulièrement. Mobutu trouve un palliatif en nommant un natif de la province du Bandundu, voisine de la capitale, croyant ainsi apaiser les populations kinoises et désamorcer en partie la crise. Il nomme le 23 octobre 1991 Bernardin Mungul Diaka, un prétendant «opposant», mais sans grande envergure, aveuglé par l’argent et les honneurs. La vraie question qui se posait était celle de savoir si Mungul Diaka dit «Koda Kombo» qui signifie «la chèvre attachée» en dialecte «yaka» de Bandundu était vraiment le Premier ministre de la situation…
Au bout d’un mois d’existence, le gouvernement «de combat» de Mungul Diaka rendait sa copie. On retiendra néanmoins au crédit de sa gestion, la reprise des travaux de la CNS en novembre 1991. Ce gouvernement impopulaire était condamné dès sa constitution, dans la mesure où pendant qu’il « expédiait les affaires courantes », des tractations entre les forces politiques proches de Mobutu et l’opposition radicale se poursuivaient et pouvaient aboutir à tout instant, devant des concessions dans les deux camps.
Mais, dans ce pays où la dignité et l’honneur sont à «fleur de peau», comment proposer à l’autre une rencontre et des négociations pourtant indispensables et incontournables, faire des concessions importantes, sans paraître aussitôt en position de faiblesse aux yeux de ses partisans les plus radicaux et dans l’opinion nationale ? D’où, l’idée d’une médiation internationale pour rapprocher les deux montagnes zaïroises qui refusaient de se rencontrer.
En sa qualité de chef de l’État, Mobutu prit l’initiative et jeta son dévolu sur le Sénégal et son ministre d’État Me Abdoulaye Wade, jadis opposant notoire à Léopold Sédar Senghor (le président Senghor est mort en décembre 2001 en France où il résidait depuis 20 ans après son départ des affaires du Sénégal) et à son successeur Abdou Diouf dont pourtant il est resté depuis plusieurs années membre du gouvernement qu’il vilipendait en qualité d’opposant.
LA MÉDIATION SÉNÉGALAISE
La Charte de Transition proposée à l’opposition et au pouvoir par l’homme d’Etat sénégalais, entérinée le 22 novembre 1991 en présence du président Mobutu sous l’égide de son homologue Abdou Diouf lors des Accords dits du Palais de Marbre 2 dont le texte ci-dessous ne fut qu’un véritable bluff.
Préambule
- Nous, leaders de deux principales composantes politiques de la Nation zaïroise, à savoir, les Forces Démocratiques Unies et l’Union sacrée.
- Conscients de l’urgence de trouver une solution concrète à la grave crise que traverse le Zaïre, de relancer les travaux de la Conférence nationale souveraine, de mettre en place un gouvernement de large consensus national capable de satisfaire les aspirations du peuple.
- Tirant les leçons du processus de démocratisation amorcée le 24 avril 1990 et de graves événements que notre pays a connu les 23 et 24 septembres 1991.
- Considérant que nous avons pleinement conscience des immenses espoirs placés en nous par le peuple zaïrois et de notre devoir historique de résoudre la crise.
- Déclarons solennellement notre attachement aux principes ci-après que nous nous engageons à respecter.
Mesures de décrispation
- Déclarons que nous récusons la violence d’où qu’elle vienne.
- Refusons qu’elle soit un moyen de règlement de différends politiques et proclamons notre volonté de privilégier le dialogue démocratique.
- Demandons en conséquence à tous les compatriotes civils et militaires d’observer scrupuleusement le principe de non-violence sur lequel nous sommes engagés.
- Décidons, pour assainir l’atmosphère, de privilégier la courtoisie dans le langage et le comportement, de promouvoir le débat d’idées et de faciliter le dialogue des programmes autour des voies et moyens redresser le pays et de donner satisfaction aux aspirations populaires.
Conférence nationale
- Nous nous engageons à supprimer par la concertation les causes de blocage de la CNS et à ne créer aucun obstacle au bon déroulement de ces travaux.
Gouvernement
- Nous reconnaissons que la tâche la plus urgente qui interpelle les responsables que nous sommes est la mise en place d’un gouvernement ayant pour tâche principale la mission de juguler la crise multiforme qui affecte notre pays.
- Le Premier ministre doit nécessairement être issu de l’opposition.
Engagements démocratiques
- Considérons que notre système politique doit être construit sur la volonté populaire, nous nous engageons à respecter les principes de la démocratie et à privilégier l’intérêt du peuple par rapport à toute autre considération.
- De la façon, nous proclamons notre engagement à pratiquer la tolérance au respect de l’opinion de l’autre sans qu’il soit apporté atteinte à la liberté d’expression.
- Nous nous engageons à privilégier les intérêts du peuple et à respecter les principes suivants :
- Le pluralisme notamment sous sa forme de multipartismes irréversibles,
- Le droit à l’accès aux médias officiels reconnus à toutes les tendances de la société,
- L’existence d’une presse libre et responsable conscient de sa mission d’être un agent de la construction nationale.
Nous nous engageons à œuvrer pour l’union la plus large ‘autour de l’essentiel dans le respect de la diversité), afin de faire face tous ensemble aux immenses défis politiques, économiques et sociaux qui interpellent notre pays.
Fait à Kinshasa, le 22 novembre 1991
Ce document s’appesantissait sur les mesures de décrispation de la situation politique générale, de la reprise des travaux de la C.N.S. et de l’élévation du niveau du débat politique. En plus, il fallait que le futur Premier ministre à désigner provienne des rangs de l’opposition qui à ces rencontres était représentée par l’Union sacrée. La reconduction au poste de Premier ministre de Tshisekedi en qui ses pairs avaient réitéré leur confiance ne faisait aucun doute.
La guéguerre d’avocats et de juristes entre Me Abdoulaye Wade (Médiateur et Me Félix Vundwawe Te Pemako (Directeur de Cabinet de Mobutu) à propos du communiqué final de ces rencontres, par des déclarations de presse interposées mettait en évidence l’intolérable climat de malaise et de suspicion dans lequel s’étaient déroulées les négociations entre le délégué sénégalais et les différentes parties en conflit au Zaïre. Le premier affirmait que l’accord était total, le second disait le contraire.
Le Peuple congolais quant à lui s’est senti de nouveau berner, flouer et voler dans son élan unanime vers une authentique et réelle démocratie. En portant à la primature Nguz pourtant exclu de l’Union sacrée quelques jours auparavant avec son parti l‘UFERI, la médiation sénégalaise qui avait joué au niveleur des divergences entre l’opposition et le pouvoir de Kinshasa se transformait en une opération de rescousse à un président Mobutu totalement acculé…
Le relais sénégalais qui avait tenté d’édicter, depuis Dakar, la marche politique à suivre par Kinshasa s’était soldé par un échec patent. Par ses simulacres de médiation, Abdoulaye Wade venait de plonger sciemment dans l’impasse tout un Peuple et une Nation. Le Peuple congolais, il s’en moquait éperdument. Quant aux politiciens, il éprouvait à leur endroit, le plus grand des mépris, se permettant même de les considérer, sur les ondes de Radio France Internationale, comme des personnages «sans culture politique».
Malheureusement, ceux qui se disaient dirigeants politiques de l’époque, n’avaient pas clairement perçu l’étendue et la profondeur de l’offense pour protester contre cet écart de langage inadmissible. Pareille injure ne pouvait pas s’adresser qu’au pouvoir mobutiste, mais aussi à l’opposition et au Peuple congolais tout entier. Le ministre d’État sénégalais servant les intérêts du régime Mobutu, et accomplissant une mission commanditée par ce même régime, il allait de soi que ce dernier ne pouvait réagir autrement que par le silence.
Mais il était hors de question, au regard de l’indescriptible gâchis de la gestion mobutiste que l’opposition et le Peuple continuaient à accepter qu’on blanchisse et ménage un tyran sous prétexte que la démocratie –processus incontournable et irréversible– serait irréalisable sans lui. Voilà une logique qui cessait d’en être une pour devenir pure et simple folie. La CNS après laquelle le Peuple congolais avait langui deux ans durant, avait une mission : celle de chercher pour le Peuple, le chemin qui, sans Mobutu, le mènerait au bonheur dont il avait été privé pendant 32 ans…
TSHISEKEDI FACE AUX KABILA
Un nouveau duel en face-à-face après Mobutu. Etienne Tshisekedi wa Mulumba aura certes traversé débout toutes les empoignades avec Mobutu de qui il était l’irréductible opposant pour les uns et l’ombre ou le complice pour les autres. Tout au début de ce qu’on appelait alors «la rébellion de l’Est» en septembre 1996 et contre toute attente, l’homme connu pour son «légendaire légalisme radical» commanditait à travers du pays « des prières pour que Mobutu ne meure pas ».
En novembre de la même année alors que la guerre s’intensifiait et sans en aviser aucun de ses amis de l’opposition, il rendait visite au même Mobutu en convalescence à Rocquebrune Cap Martin dans le midi de la France. On se souviendra que Kabila, alors chef de la rébellion avait menacé de ne pas reconnaître l’autorité de Tshisekedi si ce dernier rendait visite à Mobutu et se faisait nommer Premier ministre par lui.
La confusion était d’autant grande que sur le perron de la Villa Del Mare à Menton dans le sud de la France, le sphinx de Limete déclarait à la presse et devant les caméras de télévision du monde entier qu’il venait d’être réhabilité dans ses fonctions de Premier ministre et que bientôt à son retour à Kinshasa, il mettrait tout en œuvre pour approcher le compatriote Kabila en vue de mettre un terme à la guerre de l’Est. A peine qu’il avait regagné la capitale, Tshisekedi se mettait-il à consulter pour former son nouveau cabinet gouvernemental.
Pendant ce temps, Mobutu en manipulateur conscient de la majorité de ses partisans au HCR-PT rechignait à replacer «Ya Tshitshi» à la Primature, préférant nommer Léon Kengo pour un énième gouvernement de crise qui promettait une contre-offensive foudroyante et définitive contre les rebelles de Kabila. Contre-offensive qui n’aura jamais lieu malgré la présence des affreux mercenaires français, serbo-croates et sud-africains sous la férule de l’aventurier belge Christian Tavernier.
La chute de la ville de Kisangani le 15 mars 1997 aura vite fait de sonner le glas d’un gouvernement dont l’impopularité n’était plus à démontrer. Kengo désavoué par le HCR-PT est mis aux rencards au profit de Tshisekedi qui retrouve enfin «sa Primature». Kabila dont les troupes avancent inexorablement vers Kinshasa réaffirme son vœu pour que Mobutu lui remette le pouvoir et menace d’ignorer Tshisekedi qu’il qualifie d’agent de Mobutu. Tshisekedi n’aura même pas le temps d’occuper son poste de premier ministre, car, Mobutu décrétera «l’état d’urgence» et nommera dans la foulé le général Likulia Bolongo chef du gouvernement.
Désemparé et sentant sa fin imminente, par media interposé le dictateur offrait la paix au patriote Kabila pour parler de l’achèvement du processus de démocratisation dans une interview écrite publiée par le journal français Le Monde daté d’avril 1997. Il s’ensuivra la rencontre du 05 mai 1997 sur le navire militaire sud-africain Outeniqua amarré aux larges de Pointe Noire au Congo Brazzaville sous l’égide de Nelson Mandela, le Président d’Afrique du Sud. La deuxième rencontre prévue le 11 mai n’aura jamais lieu car les troupes de l’AFDL étaient aux portes de Kinshasa et Kabila sûre de sa victoire sur Mobutu.
Tous les analystes notent que la mésentente entre Kabila et Tshisekedi que la population congolaise voyait conduire ensemble la transition trouve ses origines aux deux gaffes politiques de l’opposant radical : sa visite à Mobutu à Nice en France en novembre 1996 et son acceptation d’être nommé Premier ministre le 02 avril 1997. Ces deux actes avaient réussi à requinquer un Mobutu affaibli par la maladie et politiquement mort de suite des défaites de son armée. Preuve, son retour triomphal à Kinshasa le 18 décembre 1996 où il clamait être revenu pour s’occuper non de la fortune de Mobutu comme l’écrivait certains journalistes mais des intérêts supérieurs de notre pays. Mobutu en avait du «culot politique» !
Assagi peut-être par autant des bévues politiques, Tshisekedi finissait par rendre hommage à Kabila pour avoir pris les armes contre Mobutu en s’appuyant sur l’article 37 de l’Acte portant disposition de Constitution pendant la période de Transition. Il réservera même cinq ministères et non des moindres (Relations extérieures et Coopération internationale, Défense nationale et Anciens combattants, Plan, Budget, Commerce extérieur et Agriculture). Offre immédiatement rejetée par Kabila et ses amis rebelles.
La rupture entre Kabila et Tshisekedi
«Kabila est mon frère, je n’ai pas besoin d’intermédiaire pour le rencontrer» déclarait Tshisekedi après l’entrée triomphale des troupes de l’AFDL dans Kinshasa. Conscient de son aura et de sa popularité, il espérait sûrement faire partie du nouveau pouvoir. Mais c’était sans compter avec la logique maquisarde des nouveaux maîtres du Congo Zaïre qui ne pouvaient partager leur succès sur Mobutu avec les opposants radicaux.
Son vœu de rencontrer son frère ne se réalisera pas car il n’ira jamais à la rencontre de Kabila ni ce dernier ne l’invitera. Tout au début du moins. La formation du premier gouvernement de l’ère AFDL signait le processus de divorce entre les deux hommes. Le leader de l’UDPS disait ne pas reconnaître ce gouvernement qu’il qualifiait de cabinet d’étrangers et d’occupation du fait de la présence des personnes à la nationalité douteuse en son sein et en appelait à tout le Peuple congolais à résister au nouveau pouvoir avec la dernière énergie comme à l’époque de Mobutu. La fin brutale de Kabila lui donnera raison en partie, les «étrangers» du premier gouvernement de l’AFDL ayant choisi une nouvelle guerre.
Bien avant cet épisode, l’attitude de l’opposant radical ne pouvait enchanter Kabila. Le nouveau maître de Kinshasa choisit alors de brandir la menace, affirmant qu’il détenait des documents attestant que Tshisekedi était un «agent» de Mobutu et qu’il n’avait jamais été un opposant au dictateur. Pour Kabila, c’était simple, tous les «vrai » opposants étaient soit liquidés soit en fuite en exil. Il devenait ainsi de plus en plus claire que dans la lutte pour la confirmation du « leadership politique » dans le pays, Laurent Désiré Kabila n’avait pas trop attendu pour mettre Tshisekedi (toujours très populaire au sein de la population de Kinshasa) sous l’éteignoir.
Ni plus ni moins, le rubicond a été franchi dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 février 1998 avec l’arrestation et la relégation de l’éternel opposant dans son village d’origine près de Kabeya Kamuanga dans la province du Kasaï Oriental. Officiellement, pour contribuer à la reconstruction nationale par le biais de l’agriculture du fait que son village est très pauvre (dixit Kabila). Malheureusement, cette pratique d’intimidation vis-à-vis de l’opposition politique interne et pacifique qui n’avait pas payé du temps de Mobutu ne pouvait favoriser ni la décrispation nationale ni la reprise de l’aide économique occidentale au Congo Zaïre qu’il avait pourtant grand besoin.
Au pouvoir presque pendant quatre ans, le nouveau régime de Kabila n’avait présenté qu’un bilan des plus négatifs. Aussi surprenant qu’on ne s’y attendait fut l’initiative personnelle du président Kabila d’inviter et de recevoir Tshisekedi à Lubumbashi le 30 mai 1998 alors que son ancien entourage proche «Tutsi banyarwanda» l’en dissuadait était révélatrice de cet ensemble de tâtonnements de la nouvelle politique congolaise. Les résultats peu convaincants de cette rencontre au sommet avaient montré le vrai visage du pouvoir.
Il était indéniable que Kabila ne pouvait continuer à ignorer Tshisekedi et que ce dernier ne pouvait se radicaliser dans son légalisme. La reconstruction du Congo nouveau dépend de la participation de tous. Il y va aussi de la volonté du nouveau pouvoir de soigner son image de marque de l’intérieur comme de l’extérieur.
Il est aussi une réalité que nul n’oserait contester aujourd’hui la popularité pour le chef de fil de l’opposition. Depuis le début des années 1990, Tshisekedi a fait l’objet d’une réelle popularité à l’intérieur du pays et incarné l’espoir de demain pour le Peuple de tout un pays, le Congo Zaïre. Il a pourtant un grand chantier : celui de soigner également son image de marque pour l’extérieur du Congo où il ne possède pas que des amis. Déjà, à l’intérieur de ce qui fut jadis le grand parti politique, l’UDPS, il passe pour un dictateur en puissance. Son intransigeance personnelle et l’exclusion des autres pour cause de vagabondage politiques ont autant des raisons qui s’ajoutent à l’absence d’organisation au sein même de son parti, d’un Congrès que l’on annonce pourtant depuis plus de dix ans.
Sa personnalisation du pouvoir accouplée à ses convenances personnelles est peut-être à la base de la défection de tous les ténors d’hier comme feu Marcel Lihau. A l’instar d’Antoine Gizenga qui se considère toujours comme le Vice-premier ministre légal du Congo indépendant (pour avoir été l’adjoint de Lumumba lors du premier coup d’État de Mobutu en septembre 1960), Tshisekedi demeure dans la même logique pour avoir été élu par la CNS. Face à Laurent Désiré Kabila comme à Mobutu, l’homme n’avait pas changé de discours. Ce qui a contribué à exacerber la méfiance du nouveau maître du Congo craignant que Tshisekedi ne le supplante en cas d’élections, du fait de sa popularité toujours grande et de sa côte de confiance dans la population.
Loin de méconnaître et de sous-estimer le travail abattu par la CNS, il me faut d’être réaliste pour constater que l’ordre institutionnel issu de cette conférence ne pouvait subsister après la victoire militaire de l’AFDL sur Mobutu mais aussi du fait que l’AFDL ne se reconnaissait pas dans ce forum auquel elle n’avait pas participé. Du reste, aux résolutions de la CNS pour la Troisième République, le pouvoir AFDL avait préféré sa Conférence Nationale de Reconstruction avortée qui fut prévu pour février 1998 à Kinshasa.