home Politique, RD Congo, Régions, Société RD Congo : l’étonnante reddition de Kyungu Mutanga dit «Gédéon» et ses zones d’ombre

RD Congo : l’étonnante reddition de Kyungu Mutanga dit «Gédéon» et ses zones d’ombre

Un très mauvais signal. Un mauvais scénario pour une cérémonie surréaliste avec pour décor le très officiel bâtiment de l’Assemblée provinciale de la nouvelle province du Haut Katanga. Des acteurs inattendus : le gouverneur du Haut Katanga Jean-Claude Kazembe en personne qu’entoure tous les officiels administratifs, militaires et policiers et le chef de la DGM en personne, le discret et puissant Kalev Mutond. Le personnage pour lequel tout ce beau monde s’est déplacé n’est autre que Kyungu Mutanga dit  Gédéon, seigneur de guerre et chef autoproclamé de la milice Bataka Katanga (ceux qui détache le Katanga en swahili); un criminel fugitif recherché par la justice après sa condamnation à mort en 2009 pour anthropophage, atteinte à la sûreté d’Etat et cannibalisme.

Tout avait pourtant commencé au matin même du 11 octobre 2016 au village Malambwe (70 Km de Lubumbashi) sur la route de Kasenga où à bord des véhicules 4X4 civils et camions militaires misent à disposition des miliciens qu’une caravane s’était lancée en direction de la capitale provinciale. C’est au Rond-point Carrefour que tous sont descendus pour une procession et une entrée triomphale à l’Assemblée provinciale située Bâtiment du 30 juin. Et ce, au son de la fanfare sur danses des majorettes et autres groupes folkloriques, tous mobilisés pour célébrer l’arrivée de celui qui, il y a encore peu, était la terreur du «triangle de la mort» Mitwaba-Pweto-Manono où les miliciens ont semé la terreur et commis des exactions entre 2004 et 2006, puis après 2011.

Officiellement recherché par l’armée congolaise depuis son évasion spectaculaire de la prison de Kassapa, le 7 septembre 2011, à la suite d’une opération commando menée par ses miliciens armés et cagoulés, libérant au passage près de 1000 autres détenus; c’est un homme amaigri mais gardant toujours sa touffe des cheveux qu’on lui reconnait qui a réapparu ce 11 octobre 2016 pour une reddition et se rendre aux autorités en compagnie d’une centaine de ses miliciens.

«Je suis venu répondre à l’appel du chef de l’État qui veut la paix» déclare d’emblée Kyungu Gédéon, devenu chef politique du MIRA (Mouvement des Indépendantistes Révolutionnaires Africains), parti qui remplace la milice Bakata Katanga et qui prend un nom qui dit et évoque tout. Ensuite s’en est suivi le dépôt de quelques armes militaires, des arcs et flèches ainsi que des amulettes traditionnelles en signe de reddition. Sur un ton marquant une sorte de défiance il lance : «Je n’ai peur de personne, ni de la justice de mon pays»,

Un détail significatif mais pas surprenant au cours de cette cérémonie

Le personnage Kyungu arborait fièrement un t-shirt vert estampillé d’une effigie de Joseph Kabila avec un message sans équivoque : «Shikata qui signifie asseyez-vous, restez ou demeurez  en langue kiluba du Nord katanga). A l’issue de la cérémonie, c’est dans une résidence du chic Quartier du Golf l’ancien milicien a été installé alors que ses hommes ont été conduits dans un site de transit non loin du Campus universitaire de la Kassapa en vue de bénéficier du programme Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR).

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La paix, mais à quel prix ?

C’est la question que se pose tout le monde au sujet des arrangements conclus entre les autorités du pays et Kyungu pour sa reddition. De toutes ces zones d’ombre, le gouverneur Kazembe répond : «la reddition de Gédéon prouve qu’on peut faire la paix sans effusion de sang» avant d’assurer au chef milicien et à ses hommes la protection de l’État. Ce que confirme le Général Philémon Yav, chef de la 22ème Région militaire couvrant le Katanga  sur le statut même du chef milicien : «Gédéon est sous la surveillance de l’armée, il n’est ni détenu, ni en résidence surveillée».

Dans un pays où les hommes politiques et autres activistes sont condamnés et jetés en prison  pour leurs opinions, on accueille en fanfares des chefs miliciens. Un internaute bien pensant écrit ceci sur le mur de sa page Facebook ce 12 octobre 2016 : « Dans un système d’impunité totale il y a lieu de se demander si nous sortirons un jour de cette situation pittoresque dans laquelle notre pays est embourbé depuis des décennies… La justice élève une Nation dit la Bible mais chez nous! Eh Dieu… Dur, très dur d’être Congolais de la Très Très Démocratique République! Un pays de tous les paradoxes abracadabrantesques… Où un condamné à mort, après avoir pris la poudre d’escampette, réapparaît en T-Shirt à l’effigie du Raïs et sur lequel il est écrit « Kabila Shikata » traduisez « Kabila reste longtemps« .

Un confrère journaliste apprécié pour ses chroniques piquantes écrit ceci : « Après une cavale de plus de deux ans, Gédéon Kyungu, arborant l’effigie de Kabila et un slogan appelant à la paix, réapparaît enfin, accueilli triomphalement, avec ses hommes, par le gouverneur du Haut-Katanga, ainsi que par les autorités provinciales de l’armée et la police! Evènement donc surréaliste contrastant avec la répression sanglante des adeptes de Bundu dia Kongo, et celle des miliciens du chef coutumier Kamuina Nsapu Mpandi (lui-même abattu) récemment… Problème particulièrement grave de lisibilité de l’action à géométrie variable des autorités congolaises! Au point de se demander non sans sérieux pourquoi les Diomi, Muyambo et cie continuent alors à rester en prison… Ainsi, capitule toute une rhétorique mise en place par l’Etat-Mépé pour justifier leur détention à la face du monde ».

Des langues qui commencent à se délier au sein de l’armée affirment que la reddition du chef milicien qui a endeuillé le Katanga durant des années aurait été négociée par les généraux John Numbi Banza (pourtant en disgrâce et cité dans divers dossiers compromettant) et Philémon Yav. Gédéon qui devra être officiellement amnistié s’engagera en politique. Toute chose restant égale par ailleurs, il y a donc lieu de se demander à quel prix doit-on négocier avec ceux qui ont pris les armes et tués leurs compatriotes ?

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