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Viols en RDC : « La communauté internationale doit prendre ses responsabilités »

Propos recueillis par Amaury Hauchard (contributeur Le Monde Afrique)

Fondateur de l’hôpital de Panzi, à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, le gynécologue Denis Mukwege a pris en charge depuis 1999 plus de 40 000 femmes victimes de violences sexuelles. Plusieurs fois cité pour le prix Nobel de la paix, il a reçu pour son action le prix Sakharov en 2014. En 2015, les journalistes belges Thierry Michel et Colette Braeckmann lui consacre un documentaire, L’Homme qui répare les femmes. Une projection est prévue en présence du Dr Mukwege et de Thierry Michel vendredi 11 mars au cinéma L’Escurial à Paris.

Dans un entretien au Monde en juillet 2013, vous demandiez combien de femmes violées il faudra pour que la communauté internationale se réveille. Aujourd’hui, vous êtes en campagne pour appeler cette même communauté internationale à agir. Rien n’a changé ?

Rien n’a bougé, et c’est pour cette raison que je ne veux pas donner de statistiques sur le nombre de victimes de violences sexuelles. A quoi bon ? Y a-t-il un seuil à partir duquel on doit réagir ? Il faudrait se mobiliser dès la première victime, et aujourd’hui on sait qu’il y en a bien plus qu’une seule. Mais s’il y a eu une évolution, c’est sur la spécialisation du mal : il touche maintenant des classes d’âge dont on ne parlait pas avant. C’est extrêmement dangereux. Du fait de l’impunité, les gens pensent que tout est permis. Aujourd’hui, nous avons des bébés violés, alors qu’il y a deux ans on ne parlait pas de viols d’enfants en bas âge.

A quoi tient cette impunité que vous dénoncez ?

Je crois que le système de justice ne fonctionne pas, tout simplement.

Est-ce que cela veut dire que les institutions ne sont pas assez fortes en RDC ?

Il y a une absence totale de l’Etat en RDC. Et lorsqu’il n’y a pas la loi, ceux qui paient, c’est les femmes et les enfants.

Est-ce que la communauté internationale se mobilise suffisamment concernant les violences sexuelles au Congo ?

Non. La communauté internationale ne peut pas continuer à parler du Congo comme « capitale des viols », alors qu’il n’y a aucune mesure prise pour que les coupables répondent de leurs actes. Il n’y a jamais eu une réponse appropriée face au drame des femmes congolaises. Si nous sommes réunis aujourd’hui à Paris, avec Thierry Michel [réalisateur de L’Homme qui répare les femmes], c’est pour demander à la communauté internationale de prendre ses responsabilités par rapport à ces crimes de guerre. Si cela ne se fait pas, on va continuer à dépenser des milliards de dollars pour rien.

Il n’y aura jamais la paix sans la justice. Il faut que le mécanisme de justice transitionnelle puisse se mettre en place, il faut des poursuites. On ne peut pas continuer à avoir des gens qui ont violé, qui ont commis des crimes contre l’humanité, être les protecteurs de ceux-là mêmes qui ont subi leurs tortures. On a besoin d’avoir de la mémoire par rapport à ce qu’il s’est passé, on ne peut pas dire aux enfants de ne pas faire ça si on ne peut pas leur apprendre leur histoire.

Un travail de sensibilisation pourrait-il être une solution aux violences sexuelles ?

Le grand problème auquel nous devons répondre est l’absence de droit lorsque nous entrons dans une période de conflits. Mais ce que nous observons lors de ces troubles n’est que le fruit de ce qu’il se passe dans notre société en temps de paix. Aujourd’hui, nous pouvons avoir l’impression que nous sommes dans une société stable, que nous sommes protégés. Mais le comportement en public n’est pas le même qu’en privé. Cela veut dire que les lois ne protègent pas suffisamment. Il faut que ces valeurs entrent dans notre éthique, dans notre morale, et que l’on puisse considérer que l’égalité des sexes soit une réalité effective.

Ban Ki-moon était récemment en RDC, vous l’avez rencontré. Que pense-t-il de la lettre ouverte au Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU contre l’impunité que vous avez présenté le 8 mars à Genève ?

Je pense qu’il est très au courant. (Sourire). Nous avons son soutien.

Quelle a été la réaction des Congolais lors des projections du film documentaire de Thierry Michel et de Colette Braeckmann ?

Je ne peux pas répondre pour tous, mais je pense qu’il y a une certaine unanimité. Partout où nous avons projeté le documentaire, nous avons manqué de places pour accueillir tout le monde. Le film inspire une certaine révolte. Les Congolais, et particulièrement les jeunes, sont en train de réaliser ce qu’il se passe. Il faut que les choses changent, mais la réponse qu’on donne aujourd’hui est la répression. Le mouvement Lucha en est un exemple : on condamne des jeunes pour avoir montré leur frustration.

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