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Psychanalyse de Joseph Kabila : « Théorie de la Posture Initiale » [Tribune]

Le discours prononcé le 23 mai 2025 par l’ancien Président Joseph Kabila depuis son exil volontaire et récemment déchu de son immunité sénatoriale suite à des allégations de complicité avec la milice supplétive rwandaise AFC/M23 ma fortement interpellé.

Son ton menaçant, avec comme mot d’ordre un appel à combattre la prétendue tyrannie de l’actuel Président de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi, est sidérant. Prononcés sans la moindre qualité officielle et dans un décor présidentiel nostalgique, ces propos suscitent des interrogations sur les ressorts psychologiques de cette mise en scène.

Par quels détours de l’esprit un ancien chef d’État, demeuré dix-huit ans au pouvoir, en est-il venu à contester la légitimité d’un successeur démocratiquement élu, avec lequel il a assuré, selon ses propres termes, la première transmission pacifique du pouvoir en République Démocratique du Congo ?

Soupçonné de liens avec des mouvements armés à la solde du Rwanda, et sans présenter la moindre émotion pour la tragédie qui se déroule depuis 30 ans dans l’Est ensanglanté de la République Démocratique du Congo, Joseph Kabila a déclaré vouloir mettre un terme au pouvoir de Félix-Antoine Tshisekedi, sous le prétexte que celui-ci aurait mis à mal l’héritage de bonne gouvernance qu’il lui aurait légué.

La réponse, je le crois, réside dans ce que j’appelle la « théorie de la posture initiale ». Par cette théorie, j’explique que l’empreinte psychologique laissée par le mode d’accession originel au pouvoir devient le ressort des actions politiques futures. Pour Joseph Kabila, cette posture initiale est indissociable de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL), formée en 1996 par Laurent-Désiré Kabila pour renverser le régime du Maréchal Mobutu. Associée à cette agression militaire appuyée par l’armée rwandaise, cette posture initiale constitue le fond des conceptions politiques de Joseph Kabila.

C’est là que tout commence, c’est là que le modèle est établi. L’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001 propulsera Joseph Kabila, alors général, à la tête de la République Démocratique du Congo. Cette première accession au pouvoir suprême n’est pas née d’une campagne électorale, de bains de foule, d’un décompte de voix et de proclamations officielles. Elle découle directement d’une saisie du pouvoir par la force, qui a profondément ancré une posture initiale envisageant la force comme monnaie du pouvoir.

Dans ce système de pensée, toutes les autres formes de pouvoir dépendent de la capacité à imposer sa volonté par la force ou la menace de la force. Les processus démocratiques, les urnes et les négociations sont perçus comme des outils artificiels comparés à l’efficacité brute de la puissance militaire. Les lois, les règles, les institutions et les valeurs morales ne sont que des façades adossées à une force explicite, qui peut jaillir à tout instant. C’est là que l’on saisit le sens profond des déclarations d’un Joseph Kabila promettant de mettre fin à ce qu’il perçoit comme la tyrannie de son successeur, un président élu.

Dans son discours du 23 mai 2025, date choisie à dessein comme un clin d’œil au mouvement M23, la posture initiale de Joseph Kabila guide le propos de l’ancien chef de guerre devenu chef d’État. Celui qui se perçoit comme un libérateur armé, formé dans le moule de l’AFDL, refait le choix de reprendre le pouvoir par des méthodes étrangères aux voies institutionnelles. Au fil du discours, les soupçons d’une collaboration avec le groupe armé AFC/M23 se renforcent : la levée de son immunité sénatoriale a provoqué une répétition compulsive du schéma originel. Le vrai pouvoir s’obtient par la force, même avec des alliances étrangères.

« L’attachement de Joseph Kabila, ou du moins son histoire indissociable, avec le Rwanda est un autre élément de cette posture initiale. Le soutien rwandais à l’AFDL en 1996 n’était pas un simple coup de pouce, mais un partenariat fondamental dont l’un des acteurs, le Président rwandais Paul Kagame, revendique encore la continuité. Lorsque des allégations sur l’origine rwandaise de Joseph Kabila apparaissent, elles renforcent l’idée d’une identité multiple, forgée dans les creusets de la guerre sans fin qui mine l’Est de la République Démocratique du Congo ».

La posture initiale peut causer de véritables pathologies politiques et psychologiques chez celui dont elle guide l’action. Le syndrome du rebelle perpétuel en est une, comme Jonas Savimbi le fut en Angola. Même après des années de lutte armée et des tentatives de démocratisation, il n’aura jamais su se défaire de sa posture initiale de chef rebelle. L’idée de déposer les armes et d’intégrer un système politique pacifié semblait lui être étrangère ; son identité était liée à la guerre. Pour Joseph Kabila, la tentation de revenir à une logique de confrontation armée relève de ce même syndrome.

 Une accession initiale au pouvoir par des moyens non démocratiques peut développer une méfiance constante. La légitimité démocratique du successeur peut devenir une menace existentielle, car le pouvoir est perçu comme une possession à garder à tout prix. L’idée de le céder, même démocratiquement, devient un cas de conscience.

Les élections furent reportées de deux années après la fin du dernier mandat de Joseph Kabila. La passation de pouvoir avec son successeur Félix-Antoine Tshisekedi ne pouvait s’effectuer autrement que par ce qu’il appelle un « accord de passation ». Cet accord avait la prétention de réduire le président élu à une proie potentielle, et sa transgression autorise de fait le recours aux moyens initiaux de la conquête du pouvoir. La force redevient légitime.

Le discours du 23 mai 2025 est un déni de la démocratie. La République Démocratique du Congo est le domaine de Joseph Kabila, et il sait mieux que quiconque comment le gouverner. Son propos laisse penser que la démocratie n’est pas un contrat social, mais un jeu de dupes, et la présence de l’ancien Président de la CENI Corneille Nangaa à la tête de l’AFC/M23 le confirme.

De l’organisation des élections à la lutte armée, le pas est vite franchi. Le contrat est ailleurs, et sa durée dépend de l’idée que lui, Joseph Kabila, se fait de sa bonne exécution par celui qu’il considère comme un partenaire privé. Sinon, quel aurait été l’objet de son discours ? Il sous-estime la légitimité de son successeur car pour lui, le pouvoir n’est pas un mandat temporaire accordé par le peuple, mais un attribut qui, une fois acquis par la force, ne se lâche qu’à des conditions très précises, hors du cadre institutionnel.

La posture initiale de Joseph Kabila est la clé de lecture de son comportement politique sur fond d’une agression rwandaise admise par la communauté internationale. Jamais il n’a condamné cette agression car les racines psychologiques de sa conception du pouvoir sont ancrées dans cette empreinte originelle. Qu’est-ce qu’une agression sinon un mode d’accession au pouvoir ? Le nom de Kabila est, d’une manière ou d’une autre, associé aux groupes armés, AFDL, AFC/M23, et ces groupes armés aux agressions subies par la République Démocratique du Congo.

La question n’est pas de savoir ce que Joseph Kabila a l’intention de faire à la suite de son discours, car le jugement de l’histoire sera prononcé. La question est de comprendre comment son passé continue d’écrire son présent. La psychanalyse de la posture initiale éclaire les déterminismes invisibles qui, s’ils ne sont pas dévoilés, peuvent façonner le destin d’une Nation.

 Léon ENGULU III

Philosophe, Ancien Coordonnateur a.i du Mécanisme National de Suivi,  Chargé de la préparation des réformes en RD Congo

Rédaction

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