Par : Aurore Lartigue
Ils étaient pourtant nombreux à avoir vu dans l’attaque du Capitole l’épilogue d’une parenthèse Trump s’achevant dans le chaos et la disgrâce. Moins de quatre ans après, le milliardaire vient de remporter une victoire sans appel à la présidentielle américaine. Récit d’un incroyable come-back.
Le 6 janvier 2021, pendant qu’a lieu au Capitole la symbolique procédure de certification des résultats de l’élection de Joe Biden, des dizaines d’émeutiers pénètrent dans l’enceinte du siège du pouvoir législatif américain. La démocratie vacille. Cinq personnes sont tuées, dont un policier. Un peu avant, Donald Trump, qui ne se remet pas de sa défaite dans les urnes face à Joe Biden, a dénoncé une nouvelle fois une élection « volée par les démocrates radicaux de gauche » et des « médias corrompus », appelant ses partisans, chauffés à blanc, à « marcher vers le Capitole ».Les images de ce qui est qualifié de coup d’État font le tour du monde et choquent les États-Unis. La condamnation est massive.
Donald Trump, déjà frappé par une procédure d’« impeachment » en 2019 pour abus de pouvoir et pressions sur l’Ukraine, se retrouve à nouveau inculpé par la Chambre des représentants. La débâcle apparaît totale. L’ancien magnat devenu président est alors considéré comme fini. « President Donald J. Trump : The End », titre un éditorialiste du New York Times.
Moins de quatre ans après, c’est désormais l’exploit politique que salue la presse, alors que Donald Trump vient de s’offrir un retour fracassant en devenant le 47ème président des États-Unis après avoir été le 45e. Beaucoup parlent de « l’incroyable come-back », en écho à la phrase de son colistier, J.D. Vance, au lendemain de l’élection du 5 novembre pour qui « c’est le meilleur come-back de l’histoire des États-Unis ». Les sondages prédisaient des résultats serrés, le milliardaire s’arroge même le vote populaire qui lui avait fait défaut lors de l’élection de 2016 avec 5 millions de voix de plus que Kamala Harris et les républicains raflent la majorité au Sénat.
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Jamais un président n’avait réussi à décrocher deux mandats non consécutifs, à l’exception de Grover Cleveland à la fin du 19e siècle. Jamais en tout cas après avoir essuyé deux procédures de destitution et plusieurs inculpations pénales. Mais le scénario n’est finalement pas sans rappeler celui de 2016 où personne n’avait pris au sérieux ce candidat excessif et provocateur. Cette fois, personne n’a cru qu’il pourrait se relever et revenir. Il l’a fait. « Il renaît de ses cendres », estime USA Today.
Phénix
Fin janvier 2021 pourtant, Donald Trump est un paria. Son horizon s’est tout à coup rétréci, ses proches conseillers l’ont lâché. Au sein du Parti républicain, certains préfèrent se tenir loin de celui qui était il y a quelques semaines encore à la tête du pays. Retiré en Floride, dans sa résidence de Mar-a-Lago, il ronge son frein et ressasse sa défaite entre deux parties de golf. Banni des réseaux sociaux, boudé par des médias conservateurs qui ne veulent pas prendre de risque, beaucoup le considèrent comme mort politiquement. Pas pour longtemps.
Donald Trump lors de son discours enflammé avant l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. © Evan Vucci / AP
Le 13 février, le Sénat l’acquitte d’« incitation à l’insurrection » lors de l’attaque du Capitole du 6 janvier. Cinquante-sept sénateurs sur cent ont voté pour, 43 contre. Un symbole fort, mais pour le condamner, et le disqualifier pour de futures fonctions, il fallait la majorité des deux tiers. « Il n’y a aucun doute, aucun, que le président Trump est, dans les faits et moralement, responsable d’avoir provoqué les événements de cette journée », concède le chef des sénateurs républicains, qui ajoute que les émeutiers se sont livrés à de tels agissements « car l’homme le plus puissant de la planète les avait nourris de mensonges ». Mitch McConnell a pourtant voté en faveur de l’acquittement.
Quelques jours plus tard, Donald Trump fait sa première réapparition en tant que simple citoyen à un grand rassemblement de la droite à Orlando, et il l’affirme : il faudra encore compter avec lui. Qui sait, lance-t-il déjà, s’il ne battra pas les démocrates en 2024 « une troisième fois ».
Pouvant toujours compter sur une base électorale fervente, il continue d’organiser des rassemblements à l’occasion desquels il fait entendre sa rhétorique. Peu à peu, l’homme d’affaires new-yorkais regagne son emprise sur le Parti républicain. Lors des élections de mi-mandat, en 2022, le gouverneur de Floride Ron DeSantis remporte une victoire écrasante sur son adversaire démocrate. Les républicains croient tenir là leur nouvelle star. Mais Trump se déclare candidat en novembre, et tour à tour, dans la course à l’investiture, les rivaux potentiels n’ont d’autre choix que de s’écarter face au rouleau compresseur Trump. Il pousse des partisans à des postes clés au sein du Great Old Party, se débarrasse de ses détracteurs. Il reste le leader incontesté.
Elon Musk vient de racheter Twitter, qu’il a rebaptisé X, et recueilli le « paria » sur sa plateforme. Peu à peu, il transforme le réseau social en machine à propagande au service de l’extrême droite.
Martyr judiciaire
Dans l’opinion, la popularité de Donald Trump ne s’est jamais démentie. Mais un certain nombre d’obstacles judiciaires l’attendent sur sa route vers la Maison Blanche. En mai 2023, le candidat populiste est condamné pour agression sexuelle dans une affaire qui date des années 1990. En juin 2023, il est inculpé pour avoir illégalement conservé des centaines de documents classifiés après son départ du pouvoir. Les images des agents fédéraux fouillant son domicile de Mar-a-Lago laissent craindre de le voir sombrer dans les affaires. Rien n’y fait.
Et son équipe réussit, grâce à des manœuvres dilatoires, à repousser ses procès au-delà des élections 2024. Autant dire, désormais, aux calendes grecques. Le 24 août 2023, il est convoqué par la justice de Géorgie dans l’affaire de l’interférence électorale du décompte de 2020 et se rend aux autorités à la prison du comté de Fulton, à Atlanta. Comme un citoyen lambda, Trump est soumis à la prise d’une photo d’identité judiciaire. Une image dévastatrice pour le candidat à la fonction suprême ? Loin de là. Il surfe sur le buzz et célèbre ce « mugshot » en l’imprimant sur des produits dérivés de campagne. On se l’arrache. Plusieurs juridictions l’accusent par ailleurs d’avoir tenté de renverser les résultats de l’élection de 2020.
Le célèbre « mugshot » devenu objet de communication. © MARIO ANZUONI / REUTERS
Loin de le discréditer, ces procédures semblent avoir renforcé l’attachement de sa base. Animal politique, il fait de ses comparutions un spectacle médiatique, se présentant en martyr et fustigeant des « procès politiques » au service d’une « chasse aux sorcières ».
Fin mai 2024, il est condamné pour 34 chefs d’accusation, dont la falsification de ses registres financiers pour camoufler comment il a acheté le silence d’une ancienne actrice pornographique, Stormy Daniels, après des relations sexuelles tarifées durant sa campagne 2016. Mais la peine n’est pas prononcée, le magnat ayant réussi à obtenir son report. Une audience est prévue le 26 novembre, mais il est très peu probable que le tribunal prononce une peine de prison ferme à l’égard du nouveau président élu. Ces affaires ne dissuadent même plus les donateurs, le candidat annonçant une levée record dans la foulée de cette condamnation au pénal.
Survivant
Quoi qu’il advienne, les planètes semblent s’aligner pour Donald Trump, comme si rien ne pouvait résister à son incroyable destin politique. Alors quand en plus, ses adversaires lui font des cadeaux, c’est un boulevard qui s’ouvre pour lui. Le candidat à l’investiture et ses équipes n’avaient sans doute même pas imaginé en rêve le naufrage de Joe Biden, visiblement diminué, lors du débat anticipé organisé en juin.
En juillet 2024, l’investiture n’est plus qu’une formalité. Donald Trump a su inverser la vapeur sans rien renier. Au contraire : jamais il n’a concédé sa défaite de 2020, mettant la vengeance au cœur de son projet politique. À coup de slogans chocs sur les migrants, de promesses économiques, il est parvenu à faire oublier son bilan marqué par une gestion désastreuse de la pandémie de Covid-19. Le tribun n’hésite pas à refaire l’histoire, martelant outrances et fausses informations, et se moquant des faits. Dans sa bouche, les émeutiers du Capitole sont devenus des « otages » qu’il faut absolument gracier. Un discours qui porte. Selon un sondage datant de janvier 2024, quatre Américains sur dix estiment à présent que l’assaut du Capitole est un complot ourdi par le FBI.
Donald Trump, en meeting en Pennsylvanie, a été la cible d’un attentat le 13 juillet 2024. AP – Evan Vucci
L’épiphanie de cette résurrection a probablement lieu le 13 juillet à Butler, en Pennsylvanie. Le tribun populiste monte sur scène pour un meeting en leader incontesté. Il en redescendra après une tentative d’assassinat, en figure quasi mythique, le visage ensanglanté, le poing levé.
Ultime obstacle qui se dresse sur la route de Donald Trump : Joe Biden renonce et est remplacé par Kamala Harris. Femme, jeune, progressiste… Cette nouvelle adversaire semble à un moment en position de déstabiliser le septuagénaire viril. Les courbes se croisent. Mais l’animal politique s’adapte et rebondit, inarrêtable. Le 15 septembre, il échappe à une nouvelle tentative d’assassinat dans son golf de Palm Beach. De quoi parachever l’image d’un nouveau président sur lequel toutes les balles glissent.
Article à lire sur De paria à président, quatre ans d’un irrésistible come-back pour Donald Trump [Récit] https://www.rfi.fr/fr/ameriques/20241108-de-paria-a-president-quatre-ans-d-un-irresistible-come-back-pour-donald-trump