home Analyses, Eco & Finances, Politique, Régions, Société EXCLUSIF : OIF : Les vraies raisons du limogeage de Kako Nubukpo, Directeur de la Francophonie Economique [OPINION]

EXCLUSIF : OIF : Les vraies raisons du limogeage de Kako Nubukpo, Directeur de la Francophonie Economique [OPINION]

Par Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue

Il serait trop réducteur d’affirmer que l’économiste togolais Kako Nubukpo a été congédié suite à sa dernière tribune parue le 29 novembre dans le journal Le Monde Afrique : Franc CFA : les propos de M. Macron sont « déshonorants pour les dirigeants africains ».

Cette publication est certes une goutte d’eau de trop qui a fait déborder le vase. Mais c’est depuis bien longtemps que plusieurs observateurs intéressés au bon fonctionnement de l’OIF commençaient à être agacés par les sorties médiatiques intempestives de M. Nubukpo, considérées comme étant très dommageables pour l’Organisation, et surtout par le mutisme de la haute direction de l’OIF.

À première vue, les prises de position de M. Nubukpo dans le débat, « pour » ou « contre » l’usage du franc CFA, peuvent être considérées comme une démarche tout à fait logique d’un scientifique qui réfléchit sur une problématique de société dans laquelle il vit. Mais le hic, c’est que M. Nubukpo était en même temps le directeur de la Francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). À ce titre, il était tenu par le devoir de réserve, conformément aux Statuts de son organisation. Le sujet sur lequel il prenait souvent position publiquement concernait à la fois un certain nombre de pays d’Afrique francophone contre un autre pays francophone, pour ne pas le nommer, la France, tous membres de l’OIF.

Un sérieux problème éthique

Dans toutes les administrations publiques, tant nationales qu’internationales, lorsqu’on embauche un nouvel employé, on procède d’abord à la vérification des antécédents, puis on lui fait signer un contrat dans lequel il s’engage au respect des valeurs, des principes et des règles du Code d’éthique et de déontologie.

En recrutant M. Nubukpo pour s’occuper des questions économiques de l’OIF, son employeur était censé être au courant de ses opinions en la matière. Néanmoins, il s’attendait à ce que l’intéressé s’acquitte de ses fonctions en respectant des normes éthiques élevées sur les plans de l’objectivité et de l’impartialité, conformément aux devoirs et obligations prescrits par les Statuts de l’organisation.

  1. Nubukpo devrait faire preuve de prudence dans ses propos, s’astreindre au devoir de réserve et s’abstenir de toute expression publique d’opinions qui pouvait porter atteinte aux intérêts de son organisation, et surtout, régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts de son organisation et ne servir que celle-ci.

Malheureusement, les prises de position de M. Nubukpo, certes judicieuses, posaient néanmoins un problème d’ordre éthique et déontologique qui risquait d’affecter sérieusement l’accomplissement harmonieux de ses fonctions et mettre à mal l’impartialité de l’OIF.

Les dispositions réglementaires et contractuelles de l’OIF à ce sujet sont très claires. Le Titre III du Statut du personnel actuellement en vigueur, stipule expressément ce qui suit, notamment en ce qui concerne les devoirs et obligations du personnel :

« 17. En acceptant leur nomination, les membres du personnel s’engagent à s’acquitter de leurs fonctions en ayant exclusivement en vue les intérêts de l’Organisation.

  1. Ils évitent tout acte ou toute déclaration qui pourrait avoir des répercussions dommageables, eu égard au caractère international de leurs fonctions. Ils n’ont pas à renoncer à leurs sentiments nationaux ou à leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses, mais ils doivent, à tout moment, observer la réserve et la neutralité dont le statut international leur fait devoir.
  2. Les membres du personnel ne peuvent se livrer, sans l’autorisation préalable du Secrétaire général, à aucune activité politique ou associative qui risque de porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité qu’exige leur qualité de membres du personnel de l’Organisation.
  3. Les membres du personnel doivent observer en tout temps la plus grande discrétion dans l’exercice de leurs fonctions.
  4. Le temps de travail des membres du personnel est exclusivement réservé à l’accomplissement des missions de l’Organisation.

26.3. Les membres du personnel s’abstiennent de toute conduite qui pourrait, directement ou indirectement, être incompatible avec l’exercice de leurs fonctions au sein de l’Organisation. »

En effet, si la notion d’impartialité commande celle de la neutralité, inversement, l’absence de neutralité induit l’absence d’impartialité. Au regard de ce qui précède, il est clair que M. Nubukpo a failli aux devoirs d’impartialité et aux obligations qui s’imposent aux fonctionnaires de l’OIF dans l’exercice de leurs fonctions, tout comme dans leur vie personnelle.

Quand bien même M. Nubukpo peut prétendre parler en son nom et non au nom de l’OIF, il reste qu’il était chaque fois présenté comme étant « directeur en charge de la Francophonie économique ». De ce fait, la ligne à tracer était très mince entre ses prises de position personnelles et la position de son organisation, à ce sujet.

Même dans l’hypothèse où il s’agirait effectivement d’une position personnelle, mais dès lors qu’elle était exprimée par celui-là même qui était chargé de mener à bien l’action économique de l’OIF, il était relativement facile de faire un lien possible entre les deux. De toute façon, ses fonctions au sein de l’OIF lui offraient une plus grande visibilité faisant en sorte qu’il bénéficiait d’une présence accrue dans les médias imprimés et radiotélévisés pour exprimer publiquement ses opinions personnelles.

Tout en conservant sa liberté d’exprimer ses opinions, M. Nubukpo devrait néanmoins faire preuve de discernement dans ses faits et gestes, adopter une attitude impartiale, de manière à éviter tout conflit d’intérêt réel ou perçu, afin de ne pas susciter un malaise dommageable pour l’OIF.

Il est donc clair qu’en montant au créneau pour défendre publiquement ses opinions contre le franc CFA, tout en fustigeant les États membres et certaines personnalités qui soutiennent le maintien de cette monnaie, alors que de par ses fonctions, il était tenu par l’obligation de réserve, M. Nubukpo doit avoir mesuré toutes les conséquences de ses prises de position, qui sont en porte-à-faux avec les règles de l’organisation qui l’employait.

Pour éviter tout embarras possible, la haute direction de l’OIF se devait de clarifier sans équivoque la position de l’organisation et agir en conséquence, sinon son silence serait interprété, à tort ou à raison, comme une approbation de positions personnelles d’un fonctionnaire sur un sujet qui concerne plusieurs membres de l’Organisation.

Pour ou contre le franc CFA ?

Il est très important pour moi que ça soit clair comme l’eau de roche, que je ne suis pas en train de prendre position pour ou contre le franc CFA, mais je relève simplement un problème éthique qui pouvait à la longue embarrasser les dirigeants de l’OIF et créer un malaise entre les États membres.

Je suis très conscient que la question du franc CFA, notamment le besoin de recouvrer la souveraineté monétaire et financière des États concernés vis-à-vis de leur ancienne métropole, est extrêmement sensible au point que les dirigeants politiques de ces pays se sont toujours abstenus de toute prise de position publique pour l’abolition du franc CFA.

Bien que la question de cette monnaie demeure un sujet tabou dans le milieu politique, son maintien ou non a toujours alimenté le débat public, tant dans le milieu universitaire qu’auprès de la masse populaire d’Afrique francophone.

Une monnaie utilisée dans 15 pays du continent noir et considérée, à tort ou à raison, comme un vestige de la période coloniale et un obstacle rédhibitoire au développement des économies de pays de la Zone franc.

Les pourfendeurs, dont M. Nubukpo, qui militent depuis quelques années pour son abolition, dénoncent énergiquement la « servitude volontaire » de leurs dirigeants politiques qui s’obstinent à utiliser une monnaie coloniale.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue

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